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PORT-ROYAL

M. de Luines éprouva de la mort de son épouse une violente douleur, qu’il crut devoir être éternelle. Il songea un moment à se faire Père de l’Oratoire, puis il aima mieux être solitaire à Port-Royal. Il s’y retira incontinent, en attendant que le château de Vaumurier fût logeable. Il édifiait par sa ferveur les vingt ermites qu’il y trouva. Ceci se passait un peu avant la seconde guerre de Paris. Lorsqu’elle éclata, M. de Luines retira aussitôt à Vaumurier (bien que la maison fût à peine en état, mais on la jugea plus sûre) tous les solitaires du vallon et des Granges. Ce fut lui aussi, on vient de le voir, qui s’adonna en toute activité à mettre l’abbaye hors d’insulte par des murailles respectables et par des tours de trente pieds qui s’élevèrent comme par enchantement, onze en trois semaines : M. Le Maître y eut sa grande part en principal adjudant.[1] Dans chaque tour on logea une petite garnison de quatre ou cinq soldats, la plupart gens du pays, mais dressés et commandés par ces vieux routiers, plus ou moins de notre connaissance, MM. de La Rivière, de La Petitière, un

    deux religieuses de Jouarre, et si unies à Bossuet, qui fit l’épitaphe de l’une, et qui composa pour l’autre cet admirable discours de la Vie cachée. Il sera reparlé d’elles en temps et lieu (au livre V, chap. 1).

  1. On lit dans une lettre de la mère Angélique (juin 1652) à M. Le Maître : « Je bénis Dieu de l’achèvement des tours, et je supplie qu’elles soient le refuge des pauvres évangéliques. Si M. le Duc l’a agréable, je serois bien aise qu’elles fussent dédiées la première au Saint-Sacrement, la seconde à la Sainte-Vierge, la troisième à saint Joseph…, la sixième à saint Pierre et saint Paul (elle ne les sépare pas plus que n’a fait M. de Barcos)…, la huitième à saint Louis (en bonne royaliste)… Si Dieu donne d’autres dévotions à M. de Luines, je les aimerai autant et mieux ; et, quand elles seront parfaites, M. de Saci feroit bien, ce me semble, de les bénir : il y a pour cela une oraison dans le Rituel. Comme elles sont, je le pense, couvertes en pavillon, cela seroit bien, ce me semble, qu’il y eût une Croix dessus, pour épouvanter les Démons visibles et invisibles. »