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LIVRE DEUXIÈME.

talent en un mot, et lui, ne s’y sont jamais rencontrés. Dans les vers de Racine enfant, on devine déjà, en quelques accents, l’auteur futur d’Esther ; dans ceux de M. de Saci, on entrevoit, malgré tout, le rimeur prochain des Racines grecques. Cependant sa mère, très-agréablement surprise du remerciement versifié, l’engagea à exercer sa poésie sur les Hymnes de l’Église ; il les traduisit presque toutes, et elles sont entrées dans les Heures dites de Port-Royal.[1] Quand, plus tard. Racine, jeune, s’essaya également à traduire les Hymnes du Bréviaire, il est dit, d’après le témoignage de Boileau, que M. de Saci s’en montra un peu jaloux, et qu’il le détourna de la poésie, comme n’étant pas son talent. Sans qu’il soit besoin, je le pense, de faire intervenir aucune jalousie, on conçoit, à la lecture des vers de M. de Saci, qu’il n’ait pas apprécié ceux que Racine commençant pouvait déjà faire.

Dès avant la retraite de MM. Le Maître et de Séricourt, le jeune Saci avait été placé par sa mère sous la direction de M. de Saint-Cyran.[2] Il eut grande répugnance après son Cours de philosophie à étudier en Sorbonne ; sa famille s’y opiniâtrait. M. de Saint-Cyran, dont la grande règle était de suivre les traces de Dieu dans les âmes, se rangea à la modestie du jeune homme qui redoutait ce titre, cet éclat de docteur, et surtout le ministère de prêtre que le doctorat entraînait : autant de traits encore de différence avec Arnauld.

M. de Saci se trouvait, ainsi que ses frères, à Port-

  1. L’Office de l’Église et de la Vierge en latin et en françois, avec les Hymnes en vers françois (1650). — Le Père Labbe [Bibliotheca anti-janseniana, p. 55) reproche surtout qu’on ait supprimé dans la traduction en vers les endroits où il y a : Christe Redemptor omnium ; on a répondu que c’était par difficulté de rime et de mesure qu’on avait dû supprimer l’omnium en trois endroits, mais qu’il y en avait cinq autres où on l’avait très-bien fait ressortir.
  2. Voir au tome I, p. 401, liv. II, ch. 3.