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PORT-ROYAL.

À propos de Pascal qui vint sur ces entrefaites à Port-Royal, et à qui il trouvait beaucoup de brillant, M. de Saci, tel que nous le connaissons déjà, n’en fut pas ébloui, et, convenant pourtant du plaisir qu’il prenait à la force judicieuse de tant de beaux discours, il disait : « M. Pascal est extrêmement estimable, en ce que, n’ayant point lu les Pères de l’Église, il a de lui-même, par la pénétration de son esprit, trouvé les mêmes vérités qu’ils ont trouvées. Il les juge surprenantes, parce qu’il ne les a vues en aucun endroit ; mais, pour nous, nous sommes accoutumés à les voir de tous côtés dans nos livres. » Et cette observation de M. de Saci s’appliquait surtout aux discours éloquents que lui tenait Pascal sur Epictète et Montaigne, et que je réserve avec les répliques, dans leur étendue, pour un autre endroit.

Car c’était une partie de la conduite de M. de Saci de proportionner et d’accommoder ses entretiens à chacun de ceux avec qui il parlait. S’il voyait M. Champagne, il le mettait sur la peinture ; si M. Hamon sur la médecine ; si M. Pascal, sur la lecture des philosophes : « Tout lui servoit pour passer aussitôt à Dieu, et y faire passer les autres.»[1]

Il lui fut donné d’achever et de confirmer ces grandes et délicates conversions qu’avait si bien menées son prédécesseur : Pascal et madame de Longueville passèrent des mains de M. Singlin en celles de M. de Saci.

Mais je me sens poussé, par rapport à lui, à procéder un peu autrement qu’avec ceux qui ont précédé : il me faut absolument suivre sa vie tout d’un trait jusqu’au bout. Son unité, son uniformité est telle qu’il ne peut se scinder. Comme il ne fut point mêlé à la polémique du

  1. Navita de ventis, de tauris narret arator…

    C’était aussi la pratique de Montaigne (Essais, liv. I, chap. XVI), mais celui-ci en simple curieux et amateur, et avec le grand but de moins.