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LIVRE DEUXIÈME.

parlant à Fontaine : l’une, pour donner une grande idée de lui-même, l’autre, pour peindre les choses invisibles dans les visibles. M. Descartes détruit l’une et l’autre. Le soleil est un bel ouvrage, lui dit-on. Point du tout, répond-il, c’est un amas de rognures. Au lieu de reconnoître les choses invisibles dans les visibles, dans le soleil, par exemple, qui est comme le dieu de la nature, et de voir, en tout ce qu’il produit dans les plantes, l’image de la Grâce,[1] il prétend au contraire rendre raison de tout par de certains crochets qu’ils se sont imaginés. Je les compare à des ignorants qui verroient un admirable tableau, et qui, au lieu d’admirer un tel ouvrage, s’arrêteroient à chaque couleur en particulier et diroient : Qu’est-ce que ce rouge-là ? De quoi est-il composé ? C’est de telle chose, ou c’est d’une autre ; au lieu de contempler tout le dessein du tableau, dont la beauté charme les sages qui le considèrent. — Je ne prétends pas, dit M. Descartes, dire les choses comme elles sont en effet. Le monde est un si grand objet, qu’on s’y perd ; mais je le regarde comme un chiffre. Les uns tournent et retournent les lettres de cet alphabet, et trouvent quelque chose : moi j’ai aussi trouvé quelque chose, mais ce n’est pas peut-être ce que Dieu a fait. — Ces gens-là, disoit M. de Saci, cherchent la vérité à tâtons ; et c’est un grand hasard quand ils la trouvent.»
(Et il ajoutait encore, ce que l’éditeur a supprimé comme trop familier, et que je rétablis au plus vite comme bien spirituel : )
«Je les regarde comme je regardois l’autre jour l’enseigne du Cadran, en passant sur le pont Notre-Dame : le cadran disoit vrai alors, et je disois : Passons vite, il n’y fera pas bon bientôt. C’est la vérité qui l’a rencontré, il n’a pas rencontré la vérité. Il ne dit vrai qu’une fois le jour.»

Ne voilà-t-il pas que nous avons entendu causer M. de Saci de très-près et dans toute sa nuance ?

  1. Phraséologie à part, et sauf les différences, ce point de vue posé par M. de Saci n’est autre que celui des causes finales et des harmonies, celui de Du Guet, de Fénelon et de Bernardin de Saint-Pierre.