Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
350
PORT-ROYAL

laïque. Mais il tournait cette rigueur, comme toutes les autres, en esprit d’acceptation pénitente ; et cela ne l’empêchait pas de dire souvent que c’étaient les plus douces années de sa vie. Il n’y avait, nous apprend Fontaine, qu’une chose qui ne lui permettait pas de se rassasier pleinement de cette douceur : c’était la mort spirituelle et l’aveuglement de ceux qui l’y retenaient. Ses larmes n’allaient que sur eux ; il les modérait même sur ceux des Messieurs de Port-Royal qui, pénétrés de cet emprisonnement et battus de toutes les tempêtes, mouraient, en ces années-là, d’une mortalité redoublée, deux à deux, trois à trois, quatre à quatre, pour ainsi dire : M. Bouilli, M. de La Rivière, M. Des Landes, M. Moreau … M. de Saci, en étant touché de tant de morts, y voyait en même temps une délivrance. Il eut, un jour, en sa captivité, une consolation singulière. MM. de Saint-Gilles, de Sainte-Marthe et de Pontchâteau s’étaient retirés dans une maison du faubourg Saint-Antoine, et y vivaient si saintement, si à l’édification du voisinage, que le curé de la paroisse, sans trop les connaître, les invita à l’honneur de porter le dais du Saint-Sacrement à la procession de la Fête-Dieu. M. de Saci et Fontaine, des fenêtres ou des terrasses de la Bastille où ils étaient, reconnurent tout d’un coup ces trois amis, et, s’avertissant d’un coup d’œil, ils rendirent grâces, tête baissée, en silence, de peur surtout de rien trahir.

Voilà de ces joies qui, dans les cœurs austères, valent des années de retranchement et les compensent. Il y a de tels instants qui sont d’indicibles fêtes aux innocents et aux justes ; les âmes dissipées aux plaisirs où l’ennui les chasse n’y comprendraient rien. Aussi, même humainement, il ne faudrait pas trop aller plaindre ces vies mortifiées et en apparence dénuées ; elles ont déjà eu le plus souvent, dès ici-bas (et quoi qu’il advienne), la très-bonne part, et des élancements qui résument le souverain