Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/367

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
357
LIVRE DEUXIÈME

gulière qu’il eut à remplir. Il faut se bien représenter quelle était la situation générale des esprits catholiques en France par rapport aux Saintes Écritures, quand Port-Royal, par M. de Saci principalement, entreprit de les traduire et de les divulguer. Les traductions faites par les Protestants ne comptaient pas pour les Catholiques, et demeuraient suspectes d’interprétation non orthodoxe. Les traductions surannées et gauloises étaient imparfaites, difficiles d’ailleurs et de peu d’usage, à cause du grand changement survenu dans la langue, et de cette nouveauté d’élégance à laquelle l’époque de Louis XIV s’était aussitôt accoutumée et comme asservie.[1]

  1. On peut voir dans la Bibliothèque sacrée du Père Le Long (article Biblia gallica) tout l’historique de ces traductions françaises des Bibles, depuis celles de Guïart Des Moulins à la fin du treizième siècle, et de Raoul de Prestes, sous Charles V, au quatorzième, jusqu’à celle dite d’Anvers (1530) et celle de Louvain (1550 et 1578). Cette Bible de Louvain avait servi de principale base aux traductions subséquentes qui n’en étaient guère que des éditions révisées et rajeunies (ainsi celle de Pierre de Besse, 1608 ; celle de Pierre Frizon, 1621). Mais la Bible de Louvain elle-même avait été précédée de la traduction de la Bible protestante, par d’Olivétan, aidé de Calvin (1535), de même qu’au Moyen-Age la Bible de Guïart Des Moulins n’était venue qu’après la Bible des Vaudois : fâcheuse coïncidence ! La Bible de René Benoist (1566) encourut la censure, comme n’étant au fond que celle d’Olivétan, qu’on n’avait pas assez corrigée. On citait encore la Bible de Jacques Corbin (1643) ; la Bible dite de Richelieu (non achevée), que le Cardinal commanda à quatre docteurs pour être distribuée aux Calvinistes (1642) : «J’ai pour ma tâche de translater les Psalmes, » disait un de ces gothiques docteurs. Les Nouveaux-Testaments traduits n’étaient pas moins nombreux, depuis le premier, celui de Jacques Lefebvre d’Étaples (1523), qui avait été censuré par la Faculté de Paris, jusqu’à celui, non incriminé, de l’abbé de Marottes (1649). La Bible de cet abbé ne fut censurée que plus tard et à cause des notes qu’on y joignit. Le Père Amelotte, dont le Nouveau-Testament parut en 1666, s’était fort aidé de la Version de Mons dont il avait surpris une copie par l’indiscrétion de Brienne, qu’on retrouve aisément dans toutes les affaires d’infidélité. Depuis le Moyen-Age jusqu’à Port-Royal, on suit donc une