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LIVRE DEUXIÈME

de traduire l’Écriture Sainte plus convenablement et mieux que M. de Saci n’a fait pour l’ensemble. On raconte que, dans les conférences de Vaumurier au sujet du Nouveau-Testament, les premiers essais qu’y lut M. de Saci parurent d’un style trop élevé ; il avait cru que la dignité de la parole de Dieu le demandait ainsi. On lui allégua pour l’Évangile la simplicité si essentielle, et qu’il négligeait. Il recommença donc son essai ; mais cette fois, cherchant la simplicité surtout, il parut trop bas et trop humble de ton à ces Messieurs ; de sorte qu’il lui fallut trouver une troisième voie et un style mitoyen. Pascal était présent à ces épreuves, et son avis, entre tous, compta.

Eh bien ! ce style mitoyen, le plus conforme à sa nature, M. de Saci l’a suivi à plus forte raison, quand il a travaillé seul et plus libre dans son choix. Il ne savait pas l’hébreu ;[1] il se tenait volontiers à la Vulgate ; au besoin il recourait aux notes de Vatable. Le sens moral l’occupait principalement. L’uniformité, qui faisait sa loi la plus chère, il l’a sans doute un peu trop portée dans toutes les parties du saint Livre.

Ce système d’élégance continue, que Bossuet trouvait souvent contraire à la simplicité de l’Esprit divin, et qui lui faisait dire : « Aimons la parole de Dieu pour elle-même ; que ce soit la vérité qui nous touche, et non les

  1. En général, on le savait peu à Port-Royal. Il ne faut rien s’exagérer : on était savant, très-savant à Port-Royal, mais on ne l’était pas si profondément, si spécialement qu’on le croit et qu’on le répète. Richard Simon et le comte De Maistre, en étant trop sévères, ont dit du vrai là-dessus. On aurait trouvé ailleurs de plus grands érudits, de plus curieux philologues. On y savait du grec, du latin ; mais on y était surtout scrupuleux, sensé, clair, à la Daunou, à la française. Nous y insisterons à l’endroit des Écoles et des livres : c’est la méthode, le bon esprit, la morale (humanitas), je ne sais quoi en tout de mitoyen, qui fait le principal caractère et l’honneur de cet enseignement. Les hommes de Port-Royal ont été d’excellents maîtres, de parfaits et fructueux divulgateurs.