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PORT-ROYAL.

ornements dont les hommes éloquents l’auront parée ; » cette sorte de monotonie tempérée nous paraît à nous, aujourd’hui que le goût littéraire a changé et s’est enhardi, manquer précisément du cachet littéraire qui est propre à la Bible, et en fausser ce que nous en regarderions plus volontiers comme les ornements naturels. En un mot, la Bible traduite d’une façon qui eût semblé plus rude et tout inélégante à M. de Saci nous semblerait,pour les Psaumes, par exemple, ou pour Job, une traduction plus véritablement poétique et une œuvre plus littéraire. Mais c’est y chercher de la littérature encore ; la délicatesse seulement s’est retournée.[1]

À Fénelon il seyait de traduire Homère ; à Bossuet la Bible à traduire eût bien convenu. On a remarqué que les traductions fréquentes qu’il donne des versets sacrés passent dans son discours sans le troubler, et font corps avec lui. Qu’on essaie, au hasard, de comparer la traduction de certains mots des Psaumes ou de Job par Bossuet avec celle des mêmes endroits par Saci. S’agit-il de prévenir la face du Seigneur en le confessant (Bossuet) ? Saci nous dit : Hâtons-nous de nous présenter devant lui pour célébrer ses louanges.[2] Bossuet entre-t-il avec David dans les puissances du Seigneur ? Saci se renferme dans la considération de la puissance du Seigneur.[3] C’est la différence de Moïse entrant dans le nuage de feu au Sinaï, et du scrupuleux interprète, né de Lévi, étudiant à l’ombre des murailles du Temple. Bossuet, au premier coup d’œil, apparaît investi de ce

  1. Un homme d’un bien délicat esprit et dont j’aime à citer la parole, un des connaisseurs qui ont le plus tôt pressenti et marque le revirement du goût, M. Joubert écrivait en 1797 : « De Saci a rasé, poudré ; frisé la Bible, mais au moins il ne l’a pas fardée. » Les premiers mots sont un peu vifs ; il suffirait de dire qu’il l’a peignée.
  2. Psaume, XCIV, 2.
  3. Psaume, LXX, 17.