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LIVRE DEUXIÈME

en ordre, à en retrancher ce qu’elles avaient de trop relatif aux personnes, à les disposer enfin pour l’impression ; et ce travail fait, même avant l’impression terminée, elle n’eut plus qu’à mourir.[1]

Voilà, ce semble, une suite d’oraisons funèbres en action et assez parlantes. On a vu de sauvages et généreux païens se percer de l’épée sur la tombe de leurs chefs : ici les cœurs chrétiens se fondent sans murmure et se brisent. Avec M. de Saci l’Isaac de Port-Royal est mort, et la race s’en va retranchée. La couronne de notre tête est tombée, écrivait l’abbé Boileau, — couronne en effet d’une seule couleur, jamais flétrie, jamais brillante, couronne toute née et tressée à l’ombre, dont on ne sait au regard si ce sont des feuilles ou des fleurs, ou seulement des graines mûres, mais qui a pourtant son parfum. J’ai sous les yeux un volume des Vies édifiantes (le quatrième) consacré presque en entier à M. de Saci et à sa mort ; la seule suite des pages y est touchante et a bien son éloquence : ce sont des lettres de tout ce que Port-Royal possède encore à cette époque de vivant, réuni ou dispersé, et qui vient se confondre dans un cri de douleur et de prière à la nouvelle funèbre. Les Tillemont, les Du Fossé, les Hamon, les Hermant, les Sainte-Marthe, les Le Tourneux, les Lancelot, tout ce qui subsiste encore et qui va mourir, tous y viennent à leur tour proférer leur regret et témoigner devant Dieu de leur plainte. Le dernier surtout, Lancelot, du fond de son exil de Quimper, serait à entendre dans la lettre qu’il écrivit à la mère Angélique, et qu’elle ne put lire, étant morte

  1. Lettres chrétiennes et spirituelles de M. de Saci, 2 vol. in-8o. — Elles eurent infiniment moins de succès que celles de M. de Saint-Cyran. Il résulte d’une lettre d’Arnauld à madame de Fontpertuis (9 juin 1685) que ce dernier augurait assez peu de la publication ; il craignait qu’il n’y parût pas assez de nouveauté, de diversité. Je le crois bien.