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PORT-ROYAL.

réputés selon le monde, plein de diversités amusantes, de conversations curieuses, un homme qui avait lu avec plaisir toutes sortes de livres, et qui en causait très-volontiers. On n’a pas d’emblée ce solitaire austère et contrit qu’on se figure ; la première fois qu’il nous apparaît au sentier du désert, il est brillant, presque à la mode encore, et un vrai bel-esprit en regard de M. de Saci qui en tire mille étincelles.

Pascal, qu’on le sache bien (ce petit détail est caractéristique), n’avait eu son accident du pont de Neuilly qui avait fort contribué à le ramener à Dieu, que parce qu’il se faisait conduire, selon son habitude de ses dernières années mondaines, en un carrosse à quatre chevaux, ou peut-être à six (le roi n’en avait que huit) : un tel train ne laissera pas de sembler assez fashionable pour la date de 1654.[1] Voilà l’honnête homme, pour commencer, et non pas le philosophe à grande robe, comme il dit, à qui nous avons affaire.[2]

  1. On me fait remarquer que c’était moins extraordinaire alors qu’il ne paraîtrait aujourd’hui, le luxe des chevaux étant poussé fort loin dans l’ancien régime et faisant naturellement partie des grandes conditions.
  2. J’emprunterai continuellement, pour ce qui concerne Pascal, à un excellent Mémoire sur lui et sur les siens qui se trouve dans le Recueil de plusieurs Pièces pour servir à l’Histoire de Port-Royal (in-12, Utrecht, 1740). Ce Mémoire définitif, rédigé avec le plus grand soin, d’après les papiers de mademoiselle Marguerite Périer, sa nièce, dispenserait à très-peu près de recourir aux papiers ou aux copies qui se trouvent à la Bibliothèque du Roi (Supplém. franç., n° 1485). En joignant au Mémoire la Vie de Pascal, par madame Périer, sa sœur, qui se lit en tête de quelques anciennes éditions des Pensées, en complétant ces pièces par la Relation de la Vie de son autre sœur Jacqueline de Sainte-Euphémie (Vies intéressantes et édifiantes des religieuses de Port-Royal, 1751, tome second), et par la Relation qui est due à la sœur Sainte-Euphémie elle-même (Mémoires pour servir à l’Histoire de Port-Royal, et à la Vie de la Mère Angélique, Utrecht, 1742, in-12, tome troisième), on se trouve réunir sur la personne et sur la vie de Pascal un ensemble de documents aussi positifs, aussi satisfaisants qu’il se peut