Selon l’instinct et la méthode que nous lui verrons d’aborder la philosophie et la théologie par le côté pratique, Pascal s’attaque sans marchander aux deux chefs des deux principales sectes morales du monde infidèle : l’une qui se fonde sur l’origine divine, sur la force et la liberté de l’homme, et lui impose une grandeur impossible ; l’autre qui s’aperçoit et se raille de sa faiblesse, de sa vanité, de sa dépendance des choses, et en tire prétexte de couler dans une morale facile, relâchée et à l’aventure. Il commence par Epictète comme par celui qui a le mieux connu les devoirs de l’homme, et il fait de cette première moitié de la doctrine stoïque un rapide, un impartial et majestueux tableau : «Voilà, Monsieur, ajoute-t-il parlant à M. de Saci, voilà les lumières de ce grand esprit qui a si bien connu le devoir de l’homme. « J’ose dire qu’il mériteroit d’être adoré s’il avoit aussi bien connu son impuissance, puisqu’il falloit être Dieu pour apprendre l’un et l’autre aux hommes. Aussi, comme il étoit terre et cendre, après avoir si bien compris ce qu’on doit faire, voici comme il se perd dans la « présomption de ce que l’on peut.[1] » Et il en vient à toucher la grande erreur, selon lui, d’Épictète et en général des sages Stoïciens, Pélagiens, Déistes, qui consiste à croire que l’esprit est droit, que la conscience est droite, que la volonté naturelle aime sainement son vrai bien, et qu’il suffit dès lors à l’homme d’user de ses propres puissances au dedans et de compter sur soi pour arriver à Dieu. Mais compter sur soi pour l’homme, c’est vraiment compter sans son hôte, c’est bien souvent compter sur l’ennemi. Ces principes d’une superbe diabolique, s’écrie Pascal,[2] conduisent Epictète à d’autres erreurs
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LIVRE TROISIÈME.