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PORT-ROYAL.

encore, à croire que J’âme fait partie de la substance divine, que la douleur et la mort ne sont pas des maux ; et autres énormités stoïciennes.

Dans un de ses sermons pour l’Avent, Bossuet parlant de la réforme morale du genre humain et des surhumaines difficultés qu’elle présente : «Aussi, dit-il, la philosophie l’a-t-elle tenté vainement. Je sais qu’elle a conservé de belles règles et qu’elle a sauvé de beaux restes du débris des connoissances humaines ; mais je perdrois un temps infini si je voulois raconter toutes ses erreurs.» Et du geste de Scipion entraînant le peuple au Capitole :«Allons donc rendre nos hommages à cette équité infaillible qui nous règle dans l’Évangile. J’y cours, suivez-moi !… » C’est ce que va dire Pascal, et non moins impétueux, après toutefois qu’il aura dénoncé et poussé à bout dans Montaigne le contre-pied d’Épictète.

Mais d’abord a-t-il exagéré et chargé Épictète ; et, pour le mieux frapper, comme il arrive souvent, a-t-il façonné quelque peu son adversaire ? Dacier le prétend : dans sa Préface sur Marc-Aurèle et dans celle de son Épictète, le docte traducteur a vengé ses saints. Il croit retrouver dans Platon, dans Épictète en particulier, l’humilité, que Pascal en un certain sens ne lui avait point déniée. Le fait est que l’humilité stoïcienne et philosophique ne sera jamais l’humilité chrétienne, qu’il y a un principe d’orgueil dans cette conscience généreuse, et que bien vite ce principe se produit. Otez Épictète, et mettez à la place Jean-Jacques de L’Émile : le reproche reste évident.

Mais c’est quand il en vient à Montaigne, son auteur très-familier et plus favori qu’il n’oserait se l’avouer à lui-même, c’est alors que Pascal abonde et qu’il excelle à tout suivre, à tout démêler. Il m’a toujours semblé que la forme sous laquelle le démon de l’incrédulité a dû le plus tenter Pascal, ç’a été celle de Montaigne : et