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LIVRE TROISIÈME.

tion pour lire ces auteurs et en juger, et pour savoir tirer quelques perles du milieu de ce fumier, d’où il s’élevoit même une noire fumée qui pouvoit obscurcir la foi chancelante de ceux qui les lisent ; que, par cette raison, il conseilleroit toujours à ces personnes de ne pas s’exposer légèrement à ces lectures.»[1]
(Et, après une dernière explication de Pascal :) «Ce fut ainsi que ces deux personnes d’un si grand esprit s’accordèrent enfin au sujet de la lecture des philosophes, et se rencontrèrent au même terme, où ils arrivèrent néanmoins d’une manière un peu différente : M. de Saci y étant venu tout d’un coup par la seule vue du Christianisme, et M. Pascal n’y étant arrivé qu’après beaucoup de détours, s’attachant aux principes de ces philosophes.»

Mais quel beau dialogue ! quelle magnifique entrée en matière de Pascal à Port-Royal ! Fermeté de tour, conduite et dessein, l’art, après coup, eût-il mieux trouvé ? La portée surtout m’en frappe ; je suppose qu’on en a relu tout le fond, Pascal en main. Sous deux chefs toutes les philosophies y passent, et toutes celles d’alors, et celles qui, depuis, ont essayé d’autres noms. On souffrira que j’insiste encore pour compléter mon argument.

Épictète et Montaigne, on les peut donc prendre au moral comme les deux chefs de file de deux séries qui, poussées jusqu’au bout, ramassent en effet tous les philosophes :
Épictète, chef de file de tous ceux qui relèvent l’homme, la nature humaine, et la maintiennent suffisante ;

Qu’ils soient ou Stoïciens rigides, ou simplement

  1. J’ai respecté les longueurs ; le contraste naturel y est fidèlement observé. À côté de ce style vif, pressé, de Pascal, on suit ces phrases lentes, traînantes, et comme précautionnées de M. de Saci, qui pousse le sens jusqu’au bout dans son extrême clarté, et qui parachève son dire unique en douce patience.