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LIVRE TROISIÈME.

taigne, comme absorbant la nature humaine et le moi, rejoint pourtant à certains égards le Stoïcisme, qui commence la série opposée. Le cercle des systèmes est accompli.

Mais n’est-il pas beau, et n’est-ce pas une figure parlante, de voir ainsi Pascal posant dès l’abord ces deux colonnes d’erreur (si on peut appeler Montaigne une colonne), et entre elles deux, l’une de pierre et l’autre de fumée, après qu’il en a donné la mesure, passant de la philosophie à la religion, pour être reçu à l’entrée par l’humble, fin et irréfragable M. de Saci ? N’y a-t-il pas là, pour le fond, grandeur supérieure, et pour la bordure, pour l’intérêt du drame et de la scène, beauté presque égale à ce qu’on admire aux plus célèbres Dialogues anciens ?

Ah ! sans doute Platon est aussi charmant qu’inimitable, lorsque, dans ce divin dialogue du Phèdre, il fait asseoir ses interlocuteurs sous le platane, les pieds baignés dans l’Ilissus. Ici rien de tel. Pourtant, sous les ombrages que nous connaissons, vers une fin d’automne peut-être, la scène aurait de la grâce encore. Ombrage à part, on a dans M. de Saci le vrai Socrate chrétien, je l’ai dit, et non pas un Socrate d’après Platon, mais plutôt d’après Xénophon ; juste, rien de trop, presque docile en enseignant ; un petit train de terre-à-terre, mais qui découvre tout d’un coup le Ciel.

À côté du Dialogue de Sylla et d’Eucrate, nous mettrons donc désormais celui-ci, tout naturel qu’il est, comme pendant et contre-poids aux vieux chefs-d’œuvre. En ce genre des Dialogues, comme richesse moderne, les Soirées de Saint-Pétersbourg viendraient aussi tomber dans le même plateau.

Au moment d’entrer plus avant dans Pascal, que cette conversation nous a déjà dessiné si bien, il reste quelque chose à faire. Il ne s’est pas exprimé cette