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PORT-ROYAL.

C’est sans doute pour punir Nicole de cette page, ou de quelque autre pareille, que Vauvenargues, bien sévère cette fois, a dit (il s’agit de Lacon ou du petit Homme) : « Il y a beaucoup d’ouvrages qu’il admire,… le Traité du vrai Mérite qu’il préfère, dit-il, à La Bruyère. Il met dans une même classe Bossuet et Fléchier, et croit faire honneur à Pascal de le comparer à Nicole, dont il a lu les Essais avec une patience tout à fait chrétienne. » Nicole, qui vaut mieux que Vauvenargues ne le dit là, et qui, sous son ton gris, a aussi ses finesses particulières et ses nuances, s’est attiré en plus d’une occasion l’impatience et les chiquenaudes des délicats, lui qui l’était ; il s’est fait tancer par Racine, par le marquis de Sévigné, et peut-être par La Bruyère.[1]

  1. N’est-ce pas en souvenir de ce jugement de Nicole, on peut se le demander, (lue La Bruyère, qui au fond tient tant de Montaigne, non-seulement pour le style et pour la méthode décousue avec art, mais aussi pour la manière de juger l’homme et la vie, a écrit ce mot souvent cité : « Deux écrivains dans leurs ouvrages ont blâmé Montaigne, que je ne crois pas, aussi bien qu’eux, exempt de toute sorte de blâme : il paroît que tous deux ne l’ont estimé en nulle manière. L’un ne pensoit pas assez pour goûter un auteur qui pense beaucoup ; l’autre pense trop subtilement pour s’accommoder des pensées qui sont naturelles. » Les Clefs de La Bruyère, qui toutes s’accordent sur Malebranche pour le second de ces auteurs, varient pour le premier entre Balzac et Nicole. À voir la différence des temps, l’autre PENSE, l’un ne PENSOIT pas, il semblerait qu’il s’agit ici d’un auteur déjà mort, par conséquent de Balzac. Mais Balzac d’ailleurs ne remplit pas toute la condition, et l’on ne saurait dire de lui qu’il n’estimait Montaigne en nulle manière. D’un autre côté, la page qui se lit au tome VI des Essais de Morale n’avait point paru à temps pour être connue de La Bruyère. Il est possible que celui-ci ait eu particulièrement en vue le passage de la Logique ou l’Art de penser, qui sera cité tout à l’heure ; il y aurait en ce cas, sous ce mot ne pensoit pas assez, une double épigramme. Et de plus il n’était peut-être pas fâché de laisser quelque doute dans l’application, et de se réserver une porte de sortie sur Balzac. Ce qui est certain, c’est qu’on ne voit pas que La Bruyère ait été lié le moins du monde avec Port-Royal, qui du reste finissait à l’époque où l’auteur des Caractères se produi-