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LIVRE TROISIÈME.
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mirer, jusqu’à ce qu’il en vienne un tomber juste à nos pieds, et qui soit notre propre miroir : par où il nous tient et nous ramène.

Il y réussit mieux que tel écrivain de son temps, naturel et riche aussi, bien mieux que le très-païen Rabelais, par exemple. Mais Rabelais est une manière de poète, et un poète fumeux. Sa pensée s’enveloppe, se dérobe à tout moment dans le tourbillon montant de sa fantaisie. Il a d’ailleurs des mares trop infectes par endroits, pour que tous aillent aisément s’y mirer. Montaigne, au contraire, sauf quelques taches vilaines, est en général limpide, attrayant ; le cardinal Du Perron l’appelait le Bréviaire des honnêtes gens, et il en est à toute page le miroir.

Un caractère de Port-Royal, une de ses originalités pour nous en ce moment, c’est, dans tout son cours, de n’offrir pas trace de Montaigne. On approfondira, en avançant, le cas particulier de Pascal ; mais chez les autres, comme nous les connaissons déjà, dans cette suite d’hommes de Dieu, de Saint-Cyran à Saci, pas un point moral ou littéraire, pas un bout auquel on puisse rattacher de près ni de loin le nom du tentateur. M. d’Andilly au plus est effleuré. La sauvegarde ici consiste dans cette règle unique, partout appliquée : In lege Domini…, toute leur vie, nuit et jour, rangés et ramassés sous la Croix !

Sur un fait de méthode, sur un seul, on se surprend à relever entre eux et lui une rencontre de bon esprit et de justesse : il s’agit de l’éducation des enfants. Montaigne est un grand ennemi de la logique scolastique ; il en veut à Baroco et Baralipton, qui rendent leurs suppôts, dit-il, crottés et enfumés : « Nostre enfant est bien plus pressé ; il ne doibt au paidagogisme que les premiers quinze ou seize ans de sa vie ; le démourant est deu à l’action. Employons un temps si court