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LIVRE TROISIÈME.

C’est bon sens, oubli parfois, ruse peut-être. On ne sait jamais sur quoi compter avec ces sortes d’hommes, Bayle, Montaigne ; on peut dire d’eux, comme Pascal de l’Opinion, qu’ils sont d’autant plus fourbes qu’ils ne le sont pas toujours. Mais ici le causeur va s’excuser, sans doute, par son peu de mémoire, car il se vante de l’avoir merveilleuse en défaillance. Pascal s’est chargé de lui en donner ; il lui a tenu lieu de mémoire coordonnante et centrale ; il a forcé les faits de coexister fermement les uns à côté des autres, et d’articuler en cette confrontation ce qu’ils avaient dans l’âme. Il a dit comme Jansénius, et en usant de la règle de saint Augustin, qui conclut du sens aux mots plutôt que des mots au sens : «Nous qui savons ce que vous pensez, nous ne pouvons ignorer pourquoi vous dites ces choses.»[1]

Pascal (car c’est Pascal déjà, autant que Montaigne, que nous étudions au cœur en ce moment) a dit encore :«Un mot de David, un de Moïse, comme celui-ci, que Dieu circoncira les cœurs (Deutér. XXX, 6), fait juger de leur esprit. Que tous les autres discours soient équivoques et qu’il semble douteux s’ils sont de philosophes ou de Chrétiens, un mot de cette nature détermine tous les autres. Jusque-là l’ambiguïté dure, et non pas après.» L’inverse, la contre-partie de la proposition est vraie pour Montaigne : s’il est des mots qui déclarent, il en est qui décèlent ; s’il en est qui consacrent tout un ensemble de pensées, il en est qui le trahissent. Ce sont de ces mots de droite ou de gauche, des éclairs qui

    que pieuse de ton, comme s’il avait craint d’être allé un peu loin. En collationnant avec la première édition (1580), on remarque toutes les plirases de précaution qu’il avait négligées d’abord et qu’il a successivement ajoutées, en même temps que d’autre part il doublait la dose de malice.

  1. Précédemment, page 112 de ce volume (livre II, chapitre x).