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LIVRE TROISIÈME.

hors de leur ciel. Ainsi l’idée de repentir, de conversion, de coup de grâce, qui est le fond et le moyen du vrai Christianisme, n’est pas concevable avec le milieu des observations et comme dans le courant d’air de Montaigne. À vingt ans, pense-t-il, nos âmes sont dénouées; on est ce qu’on sera, et on promet tout ce qu’on pourra ; notre force se montre, ou jamais. N’espérez guère correction, si défaut il y a. On n’extirpe pas les qualités originelles, on les couvre, on les cache. Il est, si l’on cherche bien, en chacun de nous, une forme nôtre, une forme maîtresse, qui lutte contre l’institution et contre le flot des passions contraires. Voilà ce qui dure et triomphe : on ne réforme que l’apparence. Tout cela est très-vrai en général ; mais est-ce tout ? En racontant la vie et l’âme de nos solitaires, en cherchant même à poursuivre en eux, par delà leur conversion, les restes de cette première et maîtresse nature, avons-nous tout expliqué ? n’y a-t-il pas eu, à un certain moment prescrit, je ne sais quelle infusion nouvelle, un ressort imprévu et inconnu qui a donné[1] ? De nos jours même en ce temps très-peu fertile, ce semble, en miracles, j’ai ouï parler à plus d’un chrétien clairvoyant de quelqu’un de sa connaissance qui s’était modifié soudainement par un coup intérieur, qui était devenu autre et méconnaissable dès lors, entrant tout d’un coup dans le bien qu’il avait fui ou haï jusque-là, et y marchant jusqu’au bout avec persévérance ? En un mot, bien que sans écho retentissant, n’y a-t-il pas toujours lieu au tonnerre et à la voix, sur le chemin de Damas ? — Je ne pose moi-même que des questions.

  1. Ce repentir qui vient à certain instant prescript, Montaigne n’y croit pas, et le trouve, dit-il, un peu dur à imaginer et à former : «Je ne suys pas la secte de Pythagoras, que les hommes prennent une âme nouvelle quand ils approchent des simulacres des Dieux pour recueillir leurs oracles.» (Chapitre du Repentir.) Ce Pythagore est bien trouvé, mais nous en sommes à saint Paul.