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LIVRE TROISIÈME.

Sebond. Nous sommes au centre : ici tout porte, tout est ménagé, calculé, tortueux, disant le contraire en apparence de ce que le maître conclut à part soi et qu’il insinue. Mais, à presser l’intention, le soi-disant pyrrhonisme ne tient pas ; ce rôdeur universel sait où en venir. Je concevrais un chapitre intitulé, non pas le Christianisme de Montaigne, mais le Dogmatisme de Montaigne, qui serait précisément tiré de là. L’appareil est géométrique chez Spinosa, il est sceptique chez l’autre ; mais le fond ne me paraît pas plus douteux[1]. Même après Pascal, et pour dégager ce dogmatisme clandestin, ne craignons pas d’entrer un peu avant en ce chapitre singulier.

Il paraît avoir été composé à l’intention de la reine Marguerite (femme de Henri IV), cet aimable et délicieux écrivain, égal dans sa manière à Montaigne, savante, curieuse de doctes entretiens, très-peu prude de mœurs, et non moins dégagée que lui de toute espèce d’idée gênante. Elle finit pourtant par prendre le parti de la dévotion, et eut quelque temps pour aumônier Vincent de Paul, qui commençait à percer, et qui allait bientôt devenir le précepteur du futur cardinal de Retz. Retz, la reine Marguerite et Montaigne, voilà bien le trio qu’on imagine.

Montaigne donc, autrefois, dans sa jeunesse, pour

  1. Que notre grand sceptique fût au fond très-décidé de jugement, lui-même il s’échappe à l’articuler quelque part en termes assez formels : « Je fois coustumièrement entier ce que je fois, et marche tout d’une pièce ; je n’ay guères de mouvement qui se cache et desrobe à ma raison, et qui ne se conduise, à peu prez, par le consentement de toutes mes parties, sans division, sans sédition intestine ; mon jugement en a la coulpe ou la louange entière ; et la coulpe qu’il a une fois, il l’a tousjours ; car quasi dez sa naissance il est un …, et en matière d’opinions universelles, dez l’enfance je me logeay au poinct où j’avois à me tenir. » {Du Repentir.)