Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/442

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
432
PORT-ROYAL.

complaire à son excellent père qui était un zélé partisan du grand mouvement littéraire de François Ier, mais qui en était par l’ardeur et l’enthousiasme plus que par le savoir, avait traduit un livre latin d’un auteur espagnol du quinzième siècle, maître Raimond de Sebond. Dans ce livre, intitulé Theologia naturalis, on trouvait Dieu et la nécessité de la foi prouvés, autant que possible, rationnellement, par la vue du monde et des créatures ; c’était, à quelques égards, un essai anticipé de ce que seront l’Existence de Dieu par Fénelon, les livres de Clarke, de Paley. C’était, à d’autres égards, une réminiscence quintessenciée de saint Thomas d’Aquin, et une intention d’expliquer, de faire concevoir par des raisons naturelles les mystères tels que la Trinité, le Péché originel, l’Incarnation[1]. La traduction que Montaigne en avait faite parut en 1569, d’après le vœu qu’avait exprimé son père mourant, charmé et consolé de cette lecture. L’ouvrage essuya quelques objections. Les uns (c’étaient les Chrétiens) disaient que c’était ou-

  1. Précisément ce qu’était dans le dessein primitif de M. de La Mennais, encore catholique, son Esquisse de philosophie. Toutes ces mêmes tentatives s’oublient sans cesse et recommencent. — Dans son Essai sur les meilleurs Ouvrages écrits en prose française (en tête du Pascal de Lefèvre), François de Neufchâteau cite plusieurs passages de la Théologie naturelle, et il ajoute : « Le livre de Raymond Sebond est qualifié par Montaigne de livre d’excellente doctrine ; et cette version faite avec tant de soin, de gravité et de candeur, aurait dû épargner à notre philosophe les reproches de scepticisme et d’irréligion, que des zélateurs indiscrets n’ont pas craint de lui prodiguer ; mais rien n’est si commun que ces jugements téméraires … » L’auteur de l’estimable Essai fait preuve lui-même de grande candeur en cet endroit ; François de Neufchâteau avait été un enfant célèbre, et il garda toute sa vie quelque chose d’enfant. Ses vers restèrent toujours puérils ; quant à sa prose, elle se nourrit d’érudition, de curieuses recherches, et cet Essai lui fait honneur, en même temps que profit à qui le lit ; mais il faut, à tout moment, intervenir pour l’idée.