Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
433
LIVRE TROISIÈME.

vrir une porte dangereuse que de prétendre appuyer par la raison ce qui est du ressort de la révélation et de la foi ; d’autres accusaient les raisonnements de Sebond d’être faibles et de ne pas prouver ce qu’ils prétendaient. C’est dans la vue apparente de répondre à ces deux ordres d’objections que Montaigne intitule son chapitre Apologie de Sebond.

Il commence par les premiers, mais il faut voir avec quel respect affiché et quel ménagement ! À ceux, dit-il, qui s’effraient, par zèle de piété, de voir la raison en jeu pour la démonstration de la foi, il n’a que peu à opposer, il le sent. D’une part, il sait bien que la foi seule, venue par voie extraordinaire et surnaturelle peut tout ; mais de l’autre, il craint bien que les moyens humains ne soient les seuls par lesquels nous la jouissions. Car, si nous tenions à Dieu même par la foi vive, verrait-on tout ce qu’on voit parmi les Chrétiens tant de contradictions entre la parole et les actions, tant d’inconséquences ? — et ici il se lance en toutes sortes d’exemples avec un malin plaisir, parlant directement contre la suffisance de ces moyens humains que la Grâce n’a pas touchés et bénis. Où en veut-il venir ? De son Raimond de Sebond, il est évident déjà qu’il n’a guère souci dans tout ce qui va suivre. Il l’a traduit autrefois pour faire plaisir à son père, aujourd’hui, sous air de le défendre, il a bien un autre but, il va plutôt le réfuter ; ou, du moins, il ne cherche qu’une occasion couverte de parler en tout sens de la chose religieuse d’y peloter à droite et à gauche, et de pousser sa pointe. Aussi, à force de ménager d’abord ceux qui veulent la foi à part et au-dessus de la raison, il leur donnerait plutôt gain de cause, et il se borne à remarquer, d’un ton soumis, que, comme pis-aller, comme essai élémentaire et grossier de concevoir les choses de Dieu, la méthode de Sebond, si incomplète qu’elle soit, a