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LIVRE TROISIÈME.

toutes les pièces de son érudition, d’ordinaire éparse, pour en faire armes de l’un à l’autre, et les battre coup sur coup séparément. Puis, quand il a fini de les exterminer et qu’il respire, il a grand soin pourtant, de peur qu’on ne s’y méprenne, d’avertir la reine Marguerite et son lecteur que ce dernier tour d’escrime qui consiste à se perdre pour perdre un autre, à s’ôter les armes de la raison pour les mieux enlever à l’adversaire, est un coup désespéré dont il ne se faut servir que rarement.

Et, continuant d’user de ce coup désespéré, au moment même où il semble s’avertir et vouloir s’arrêter, il prend l’homme, non plus dans la comparaison avec les animaux, non plus dans les systèmes changeants des philosophes, mais en lui-même et dans les moyens prétendus directs de trouver la vérité ; il met à la question la raison, les sens, et c’est ici qu’on lit : « Ce ne sont pas seulement les fiebvres, les bruvages, et les grands accidents qui renversent nostre jugement, les moindres choses le tournevirent… ; » et tout ce qui suit, et qui rappelle directement la pensée de Pascal : « L’esprit de ce souverain juge du monde n’est pas si indépendant qu’il ne soit sujet à être troublé par le premier tintamarre qui se fait autour de lui… »

En suivant à cet endroit du texte les pensées de Montaigne, nous marchons coup sur coup sur les souvenirs de Pascal qu’elles ont suscités. Les Pensées de celui-ci ne sont, à les bien prendre, que le chapitre de l’Apologie de Sebond refait avec prud’homie. On saisit dès lors l’intention et le fil entier de notre étude, l’importance accordée à cette première conversation du nouveau converti, qui comprend déjà sa préoccupation dernière, et pourquoi toute cette dissection prolongée de Montaigne au sein de Pascal à laquelle nous nous livrons.

Au reste, dans ses nombreuses pensées sur la vanité,