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PORT-ROYAL

aux Grecs, leur donna la poésie[1]. » Dans la querelle des Anciens et des Modernes, les défenseurs tout littéraires des premiers se sont peu avisés d’un argument religieux si transcendant. Mais cette vue, qui devait sembler très-justifiable à M. de Saint-Cyran lorsqu’il comparait le traité des Offices de saint Ambroise à celui de Cicéron, cette vue d’un tel divorce presque légitime entre le règne du libre génie naturel et le chemin du Calvaire, qui pouvait être encore très-spécieuse en France à la date de 1643, chez un théologien pour qui le Polyeucte du théâtre n’existait pas, allait devenir sujette à bien des amendements quelques années après, lorsque tomberaient coup sur coup, et de tout leur poids, dans la balance chrétienne, l’Oraison funèbre de la reine d’Angleterre, les Pensées de Pascal et Athalie.

M. de Saint-Cyran, une fois sur ce sujet, en vient à parler de la composition des ouvrages et des dispositions qu’on y doit apporter :

« Il faut, dit-il à M. Le Maître, se considérer comme l’instrument et la plume de Lieu, ne s’élevant point si on avance, ne se décourageant point si on ne réussit pas ; car il ne faut pas moins de grâce pour éviter l’abattement que relèvement, puisque l’un et l’autre est un effet de notre orgueil.… Vous avez vu dans saint Bernard qu’il compare Dieu, au regard des hommes, à un écrivain ou à un peintre qui conduit la main d’un petit enfant, et ne demande au petit enfant autre chose, sinon qu’il ne remue point sa main, mais qu’il la laisse conduire : ce que fait souvent l’homme qui résiste au mouvement de Dieu. C’est donc, dit ce saint homme, l’écrivain et non l’enfant qui écrit ; et il seroit ridicule que l’enfant eût vanité de ce qu’il auroit fait, puisque, pour écrire toujours de même, il auroit besoin d’avoir toujours le même maître, et que sans lui il écriroit ridiculement. Il en est ainsi de Dieu et des hommes. C’est pourquoi il n’y a rien de si raisonnable

  1. Pensées de M. Joubert.