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LIVRE TROISIÈME.

coup de facilité et de bel-esprit ; elle aurait pu devenir en littérature une mademoiselle de Scudéry, et mieux.

Depuis le jour de cette présentation, la petite Jacqueline allait souvent à la Cour, y étant toujours très-caressée du Roi, de la Reine, de Mademoiselle, et de tous ceux qu’elle y voyait. « Elle eut même l’honneur de servir la Reine quand elle mangeoit en particulier. Mademoiselle tenant la place de premier maître d’hôtel.»

Quelques mois après la fâcheuse affaire de son père et pendant qu’il était caché, elle prit la petite vérole, et y perdit sa beauté qui promettait fort[1]. Son père, malgré le danger d’être découvert, revint au logis pour la soigner, et ne la quitta pas des yeux tant que la maladie dura. À peine guérie, elle fit des vers pour remercier Dieu de lui avoir laissé la vie et enlevé la beauté. Les vers sont très-mauvais ; mais un tel sentiment sort du vulgaire.

En février 1639, le Cardinal eut la fantaisie, pour se dérider, de faire jouer la comédie par des enfants. La duchesse d’Aiguillon, sa nièce, allait recrutant de petits acteurs et de petites actrices ; par madame Sainctot, femme du maître des Cérémonies, elle eut l’idée de demander la petite Pascal »[2]. Mademoiselle Pascal l’aînée

  1. On aura remarqué que plusieurs des jeunes filles qui devinrent les principales religieuses de Port-Royal avaient eu ainsi la petite vérole, qui de bonne heure avait gâté leur visage. Je le rappelle parce que cela m’a paru revenir assez souvent, mais je ne veux pas dire pourtant qu’on ne donne à Dieu que ce dont le monde ne veut pas ou ne veut plus.
  2. Deux ans auparavant, les deux petites demoiselles Sainctot et la petite Jacqueline, passant quelques semaines ensemble, avaient fait, à elles trois, une espèce de comédie en vers : c’était, dit-on, une pièce suivie, en cinq actes, divisés par scènes, et où tout était observé. Elles la jouèrent elles-mêmes deux fois, avec d’autres acteurs qu’elles prirent ; on en causa longtemps dans Paris : « Nous ne rapportons point ceci, dit le fidèle Clémencet qui n’en omet rien, pour donner du goût et de l’estime de ce que la loi de Dieu