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PORT-ROYAL.

répondit d’abord tout net au gentilhomme de la duchesse : « Monsieur le Cardinal ne nous donne pas assez de plaisir, pour que nous pensions à lui en faire. » Mais on avisa ensuite que ce pourrait être un moyen de servir le père. La petite apprit son rôle, l’étudia sous Mondory même (il était de Clermont), le joua à ravir, et, la comédie finie[1], voyant qu’on tardait à la présenter, elle alla toute seule au Cardinal qui la prit sur ses genoux : elle paraissait beaucoup plus enfant qu’elle n’était en effet, ayant déjà treize ans. Tout en pleurant, elle lui récita un petit compliment en vers, pour demander la grâce de son père[2]. L’honnête Mondory, très-écouté ce jour-là, avait préparé les voies. Le Chancelier présent et la duchesse d’Aiguillon s’y joignirent, et le Cardinal dit : « Eh bien ! mon enfant, mandez à monsieur votre père qu’il peut revenir en toute assurance, et que je suis bien

    nous apprend à regarder comme pernicieux ; nous voulons seulement faire connoître quelle étoit dès l’enfance la beauté du génie de la sœur de Sainte-Euphémie. »

  1. L’Amour tyrannique, tragi-comédie de Scudéry. La petite Pascal jouait Cassandre, une des deux filles d’honneur de la reine de Pont, — un très-petit rôle en définitive, bien qu’à un endroit le prince Tigrane, en lui confiant une lettre et en lui recommandant de la remettre avec adresse, ajoute par manière de compliment :

    Mais à ton bel esprit on ne peut rien montrer.

    Scudéry fit à la jeune actrice un madrigal de remercîment, auquel elle répondit.
  2. Voici ce compliment, ingénieux et bien tourné et qui était tout à fait dans l’esprit de la situation :

    Ne vous étonnez pas, incomparable Armand,
    Si j’ai mal contenté vos yeux et vos oreilles,
    Mon esprit, agité de frayeurs sans pareilles,
    Interdit à mon corps et voix et mouvement.
    Mais, pour me rendre ici capable de vous plaire,
    Rappelez de l’exil mon misérable père :
    C’est le bien que j’attends d’une insigne bonté.
    Sauvez cet innocent d’un péril manifeste ;
    Ainsi vous me rendrez l’entière liberté
    De l’esprit et du corps, de la voix et du geste.