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PORT-ROYAL

comme le bon cavalier, qui se remue et s’excite lui-même au combat en remuant et excitant le cheval sur lequel il est monté. »

Suivent d’excellents préceptes sur la manière de régler la science, la lecture et l’étude ; il donne jusqu’à six règles consécutives, mais nulle part rien qui ressemble au précepte de Despréaux : Vingt fois sur le métierM. de Saint-Cyran, bien loin de là, vous dirait : Une seule fois, sous l’œil de la Grâce !

J’ai omis une admirable page, c’est lorsque, jetant les yeux à un moment sur la bibliothèque de M. Le Maître, il se met à juger, en quelques mots, chaque auteur qu’il voit, chaque Père ; classement supérieur et véritablement souverain de toute la littérature ecclésiastique, saint Augustin et saint Chrysostome en tête, et les autres à la suite, chacun à son rang et selon son degré d’importance, jusqu’à saint Bernard, à saint Thomas et aux Scolastiques. « Saint Bernard, y dit-il magnifiquement, est le dernier des Pères ; c’est un esprit de feu, un vrai gentilhomme chrétien, et comme un philosophe de la Grâce. » Pour saint Thomas, il le trouve certes un Saint extraordinaire et grand théologien, mais par manière de correctif il ajoute : « Nul Saint n’a tant raisonné sur les choses de Dieu. » De saint Thomas surtout date l’habitude humaine qui a prévalu, dans les siècles suivants, de traiter la Théologie par méthode. La tradition insensiblement s’y perdit : elle n’eut plus que des restes qui surnageaient çà et là dans l’usage, et qu’il importait grandement de ressaisir d’ensemble, de rejoindre par des lectures directes et de revivifier : il faut toujours aller à notre source.[1]

Pendant que MM. de Saint-Cyran et Le Maître sont à causer ainsi dans la chambre de ce dernier, Lancelot

  1. Fontaine, Mémoires (1738), tome I, page 176.