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LIVRE TROISIÈME.

Après ce petit préambule et comme cette pointe vers les Provinciales, il nous faut un peu rétrogader. La première escarmouche a eu lieu ; la grande bataille n’est pas loin.

Pascal, ses sœurs, son père, toute cette famille en un mot était sincèrement chrétienne, bien que sans pratique extraordinaire. Avec ce goût passionné qu’il avait de questions et de recherches, le jeune homme ne s’était jamais encore porté au doute sur les matières de religion ; cet esprit si actif, si vaste, si rempli de curiosités, demeurait en même temps soumis sur ces points réservés, comme un enfant.[1]Il avait vingt-trois ans environ. Une circonstance particulière vint mettre un nouvel ordre dans ses pensées.

En janvier 1646, son père, s’étant démis ou plus probablement cassé la cuisse dans une chute, se confia pour sa guérison aux mains de deux gentilshommes du pays qui étaient renommés en ces sortes de cures. C’étaient MM. de La Bouteillerie et Des Landes, amis de M. Guillebert, curé de Rouville, que nous connaissons. M. Des Landes[2] et son ami, en traitant M. Pascal à

  1. Ç’a été un caractère et un bonheur de Pascal, et aussi des hommes de Port-Royal en général, de revenir à la religion étroite sans pourtant s’en être jamais absolument écartés, et sans avoir eu, en aucun temps, l’âme ruinée à cet endroit. De même pour les mœurs, si liées avec la croyance. Pascal, dans sa plus grande dissipation, n’eut pas de dérèglement fondamental, de passion sensuelle ou sentimentale déclarée : M. Le Maître non plus. Quand donc ces âmes-là revenaient et se réintégraient complètement comme, après tout, elles s’étaient conservées toujours, il en résultait un fonds de solidité et de certitude, que d’autres âmes, longtemps perdues, peuvent certes réacquérir par un coup de Grâce, mais que nos amis de Port-Royal nous offrent comme plus aisément (je leur en demande bien pardon) et plus conformément à leur nature même.
  2. Un des fils de M. Des Landes fut solitaire à Port-Royal en 1650 ; il exerçait aussi la médecine et la chirurgie par charité. Ces Des Landes étaient doués d’un talent naturel pour la Chirurgie,