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LIVRE TROISIÈME.

d’esprit. Durant un séjour de dix-sept mois qu’elle fit en Auvergne (1649 — jusqu’en novembre 1650), mademoiselle Pascal continuait, autant qu’elle le pouvait, au sein de sa famille et de ses relations de province, sa vie de retraite et de charité. Un bon Père de l’Oratoire de Clermont l’engagea à traduire en vers les Hymnes de l’Église ; elle s’y mit, mais en écrivit à Port-Royal en même temps pour demander conseil. Il lui fut répondu par la mère Agnès, de la part de M. Singlin : « C’est un talent dont Dieu ne vous demandera point compte, puisque c’est le partage de notre sexe que l’humilité et le silence ; il faut l’ensevelir. » Et encore : « Je suis bien aise que vous ayez prévenu le sentiment de M. Singlin ; vous devez haïr ce génie et les autres, qui sont peut-être cause que le monde vous retient ; car il veut recueillir ce qu’il a semé. » Et ailleurs : « Il n’y a rien à craindre pour une personne qui ne prétend rien au monde, sinon de chercher trop les satisfactions de son esprit[1]

  1. J’en tire, tout à côté, plusieurs traits qui témoignent d’une grande douceur dans les conseils et d’une juste modération : — Le 25 février 1650 : « Nous eûmes hier un sermon admirable de M. Singlin ; je vous y aurois souhaitée, sinon que j’aurois eu peur que cela eût irrité votre désir, et rendu votre attente plus pénible. Notre Seigneur vous veut purifier par ce retardement, de ne l’avoir pas toujours désiré ; car il faut avoir longtemps faim et soif de la justice, pour expier le dégoût qu’on en a eu autrefois.» — Le 18 mars 1650 : «Je vous avois fait réponse, et je crois que vous aurez eu le même sentiment que moi, et que vous n’aurez rien perdu aux lettres que vous n’aurez pas reçues ; car Dieu se contente qu’on expose son état à ceux qu’on doit prendre pour sa conduite ; après quoi, il remédie souvent par lui-même aux choses pour lesquelles on a eu recours aux créatures.» Ingénieux et vrai. — Du 16 août 1650 : "Pour ce que vous demandez, vous verrez vous-même ce qui sera le mieux. Il est difficile de vous donner conseil là-dessus, sinon, en général, qu’il ne faut rien aigrir, ni aussi rien ramollir, mais imiter la sagesse de Dieu qui dispose toutes choses avec force et suavité. » — Du 8 novembre enfin : « Il faut souffrir que les personnes comme M. Singlin, qui craignent de faire des avances en