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LIVRE TROISIÈME.

pour leur donner avis qu’elle désirait disposer, en faveur de Port-Royal et des pauvres, de la part du bien dont elle se dépouillait :

« Car je croyois, dit-elle, avoir tout sujet de m’assurer qu’ils approuveroient tous mes desseins, et, connoissant le fond de mes intentions et la disposition de mon cœur à leur égard, j’avois la vanité de présumer qu’il ne m’étoit jamais possible de les fâcher, quelque chose que je fisse. Vous savez que j’avois quelque raison de vivre dans cette confiance, vu l’union et l’amitié que nous avions toujours eues ensemble. (Il parait de plus que cette part de bien était peu considérable. )
Cependant ils s’offensèrent au vif de mes desseins, et crurent que je leur faisois une sensible injure de les vouloir déshériter en faveur de personnes étrangères, que je leur préférois, disoient-ils, sans qu’ils m’eussent jamais désobligée. Enfin, ma chère Mère (elle s’adresse à la mère Le Conte, prieure aux Champs), ils prirent les choses dans un esprit tout séculier, comme auroient pu faire des personnes tout du monde, qui n’auroient pas même connu le nom de la charité…
Ce prétendu manque d’amitié de ma part leur donna beau jeu de raisonner sur l’inconstance de l’esprit humain et l’instabilité de mon affection. Mais à la bonne heure, s’ils en fussent demeurés là ; ils auroient exercé leur esprit sans troubler le mien ; mais ils ne le firent pas : car ils m’écrivirent, chacun à part, de même style, une lettre, où, sans me dire qu’ils fussent choqués, ils me traitoient néanmoins comme l’étant beaucoup. Pour toute réponse à mes propositions, ils me faisoient une déduction de mes affaires à la rigueur, et me déclaroient que la nature de mon bien étoit telle que je n’en pouvois disposer en façon quelconque, ni en faveur de qui que ce fût. Ils en apportoient pour raisons que par nos partages on étoit demeuré d’accord que nos lots répondroient solidairement l’un à l’autre de toutes les parties qui viendroient à manquer pendant un long temps, et d’autres raisons de chicane qui vous ennuiroient, et qui n’eussent pas été telles sans doute s’ils n’avoient pas été en mauvaise humeur. Je sais bien cependant qu’à la rigueur