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PORT-ROYAL.

n’oublia rien de tout ce qui étoit en son pouvoir pour charmer mon déplaisir. »

On a tout l’entretien qui suit ; c’est après moins d’un mois que la sœur de Sainte-Euphémie, dans sa première émotion, en récapitulait toutes les circonstances. Si nous ne connaissions pas la mère Angélique, cette seule occasion suffirait ; mais, même après ce que nous savons d’elle, il y a de quoi apprendre encore et admirer.

Elle commence avec une sévérité pleine de douceur ; elle s’étonne de cette tristesse ; elle a peine à la comprendre, et il lui a fallu dans le premier moment un effort de mémoire, assure-t-elle, pour s’en rappeler la cause, tant elle lui paraît futile, et tant c’était une affaire conclue ! Et voyant, pour toute réponse, des larmes aux yeux de la Sœur, elle prévient son excuse :

« Pourquoi pleurez-vous de cela, ou bien pourquoi ne pleurez-vous pas autant de tous les péchés du monde ? Si vous ne regardez que Dieu là-dedans et l’intérêt de la conscience de vos proches, pourquoi, lorsque vous en avez vu tomber quelques-uns dans des fautes plus considérâbles et dans des infidélités beaucoup plus importantes au regard de Dieu ( elle veut parler ici de Pascal ) n’avez-vous pas autant pleuré qu’à cette heure où ils n’ont manqué proprement qu’à l’amitié qu’ils vous dévoient ? »
Je lui répondis, comme je le croyois véritable, que je n’étois touchée que de l’injustice qu’on faisoit à la Maison et que, pour ce qui ne regardoit que moi, je ne sentois aucun mouvement d’aigreur ni de douleur, et que mon cœur me sembloit être insensible de ce côté-là.
« Vous vous trompez, ma Fille, me dit-elle : il n’y a rien qui touche plus ni qui soit plus outrageant que l’amitié ; vous en avez une véritable pour eux, et vous voyez que la leur n’a pas été pareille : car, encore qu’il soit vrai qu’ils vous aiment beaucoup, voyez-vous, ils sont encore du monde, et toutes les grâces particulières que Dieu leur a faites en leur donnant plus de lumière dans les choses de