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APPENDICE.

l’air de folâtreries et d’enfances, des allusions à quantité de mythologies et de fables à la Plutarque qui étaient en circulation parmi les savants. Les historiens comme Pierre Matthieu[1]ont des pointes, des figures trop fréquentes et qui jurent avec les endroits de narration où ils les placent. Charron est lourd, pesant ; d’Aubigné, même en prose, n’a aucune netteté. Tous ces écrivains, très-estimables par certains endroits, n’ont rien de ce qui pouvait faire innovation et réforme dans le style ; ce sont des rejets du seizième siècle sur le dix-septième. On conçoit que Malherbe ne fût content d’aucun ; quand il les lisait, n’importe lesquels, son esprit exact trouvait à reprendre à chaque page : ils étaient pour lui comme l’Afrique aux généraux romains, « une moisson de triomphes. » Quand on demandait à ce Malherbe si rigide et qui, écrivant si peu, faisait secte, pourquoi il ne rédigeait pas de grammaire, il répondait qu’il n’en était pas besoin et qu’on n’avait qu’à lire sa traduction du XXXIIIe livre de Tite-Live, que c’était comme cela qu’il fallait écrire. C’était cette même traduction que mademoiselle de Gournay, la docte fille et sibylle, partisan du vieux style, comparaît à un « bouillon d’eau claire. » Mais la clarté était alors le premier des besoins : aussi, quoi que l’on pût dire contre les excès de retranchement et de sobriété de Malherbe, contre ce style exempt avant tout, frugal à l’excès, et comme affamé de jeûne, Malherbe avait raison : on trouve chez lui, dans ce livre traduit, et surtout dans la méthode qui en résultait, un vrai modèle de narration ; « on y voit, disait Sorel, le bon usage des Pronoms et des Conjonctions, et de ce qu’on appelle les Particules françoises ; on y voit quelle mesure doit avoir la période pour n’être ni trop longue ni trop courte. » Enfin Malherbe fut pour la prose, bien qu’il en ait si peu publié, presque autant dictateur et chef de secte qu’il l’était pour les vers. « Ceux qui alloient ouïr ses instructions en firent bien leur profit. La plupart des bons écrivains d’aujourd’hui, dit Sorel, ont été de ce nombre ou sont les disciples de ses disciples. » Vaugelas, jeune, en écoutant Malherbe et en recueillant ses décisions, qu’il contrôlait par celles du cardinal Du Perron et de Coëffeteau, préparait dès lors ses Remarques sur la langue, qu’il ne devait publier que vingt ans plus tard (1647). Balzac, enfin, apprenait auprès de Malherbe à polir, à mesurer, à aiguiser et à couper son style, et à donner à ses pensées, ou à celles d’autrui qu’il assemblait, ce tour vif et neuf, cet agré-

  1. Sur Pierre Matthieu, qui passait, même de son temps, pour un corrupteur de l’éloquence, on lit : « … Au surplus, la liberté qu’ont prise les Italiens d’accuser un François de la corruption de leur éloquence, et de dire que l’historien Matthieu avoit depuis peu donné l’exemple chez eux de cette mauvaise façon d’écrire dont nous parlons, est cause que je ne ferai nulle difficulté de remarquer, etc., etc. » (La Mothe-Le-Vayer, Considérations sur l’Éloquence française de ce temps.)