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PORT-ROYAL.

ment imprévu, et d’abord si goûté avant de paraître monotone, qui le firent, du premier jour, un chef d’école et de parti dans la Prose (1624).

« Vaugelas a très-bien indiqué tout ce que Malherbe, à cet égard, laissait à faire à Balzac, quand il a dit :

« Un des plus célèbres auteurs de notre temps que l’on consultoit comme l’oracle de la pureté du langage, et qui sans doute y a extrêmement contribué, n’a pourtant jamais connu la netteté du style, soit i n la situation des paroles, soit en la forme et en la mesure des périodes, péchant d’ordinaire en toutes ces parties, et ne pouvant seulement comprendre ce que c’étoit que d’avoir le style formé, qui en effet n’est autre chose que de bien arranger ses paroles et de bien former et lier ses périodes. Sans doute cela lui venoit de ce qu’il n’étoit né qu’à exceller dans la poésie, et de ce tour incomparable de vers qui, pour avoir fait tort à sa prose, ne laisseront pas de le rendre immortel ; je dois ce sentiment à sa mémoire qui m’est en singulière vénération, mais je dois aussi ce service au public d’avertir ceux qui ont raison de l’imiter en d’autres choses, de ne l’imiter pas en celle-ci. »

« C’est Balzac qui fera pour la netteté, pour ce vernis, ce poli de la prose (nitor), ce que Malherbe n’avait pas daigné faire ; et Malherbe lui-même disait de Balzac : « Ce jeune homme ira plus loin pour la prose que personne n’a encore été en France. » II vérifia l’horoscope. »

Dans ce Cours de 1858, avant d’aborder Balzac, je crus pourtant devoir m’arrêter un moment sur un nom et un auteur qui fut considérable en son temps et que, dans les travaux d’exhumation si à la mode aujourd’hui, on a cherché à relever, à réhabiliter hors de toute proportion, à opposer, si on l’avait pu, et à Balzac et à Malherbe lui-même. Il s’agit du Garde-des-Sceaux Guillaume Du Vair, grand personnage parlementaire et politique d’alors, écrivain grave, estimable, de mérite et d’un vrai poids, mais qui n’eut jamais rien de saillant ni d’incisif, et que le goût, par complaisance pour l’érudition, doit se garder de surfaire.

Comme c’était le plus grand ou celui qu’on avait le plus essayé de grandir dans l’époque intermédiaire, on pouvait juger par lui des autres.

Je me demandai donc ce qu’était au vrai Guillaume Du Vair en son temps, en dégageant son nom de tous les éloges par trop officiels dont la révérence publique masque toujours un personnage qui a été revêtu de hautes dignités.

Sans rien contester de ce qui lui revient de droit, en reconnaissant les services politiques qu’il rendit durant la Ligue, même lorsqu’il en était ; en le saluant pour la belle journée qu’il eut au Parlement quand il poussa à l’Arrêt pour le maintien de la Loi salique, je ne pus entrer toutefois dans les éloges de tout genre que lui prodiguaient de récents admirateurs, et je conclus contradic-