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APPENDICE.

Le français voulait avoir son tour à soi, la société sa coupe de parole à elle. À chaque pas qu’on fait en avançant dans le siècle, pendant les cinquante premières années, on retrouve les symptômes et les preuves de ce goût déclaré pour les questions de langue, de grammaire, de correction, de netteté, de politesse et d’urbanité : tout cela se rejoint et se confond. Le beau monde et les pédants s’y rencontrent et se donnent, pour ainsi dire, la main dans l’œuvre commune. L’hôtel Rambouillet y aide, dans le grand monde, et ouvre une espèce d’académie d’honneur, de galanterie honnête, de politesse. Partout ce sont de petites académies qui s’essayent : la chambre garnie de Malherbe, le salon de madame Des Loges, le cabinet de Coëffeteau, celui de Vaugelas, de Conrart, de Chapelain, de Ménage. Richelieu, très-atteint lui-même de ce goût de beau et pur langage, donna à ces ébauches le caractère et l’importance d’une institution ; il consacra à jamais ce goût français en fondant l’Académie française. Or, Balzac, du premier jour, et dès ses premiers essais de jeunesse, fut l’homme et parut le héros de cette réforme dans l’exactitude de la prose française et dans l’éloquence.

« Richelieu, à la première lecture de ses Lettres, lui a reconnu ce mérite, s’il lui a plus tard contesté les autres. Je citerai ses propres termes ; car il y a toujours plaisir à louer les hommes distingués avec les paroles des grands hommes :

« Les conceptions de vos lettres sont fortes, lui écrivait-il, et aussi éloignées des imaginations ordinaires qu’elles sont conformes au sens commun de ceux qui ont le jugement relevé ; la diction en est pure, les paroles autant choisies qu’elles le peuvent être pour n’avoir rien d’affecté, le sens clair et net, et les périodes accomplies de tous leurs nombres… Vous seriez responsable devant Dieu si vous laissiez votre plume oisive, et vous la devez employer en de plus graves et plus importants sujets.» (Lettre du 4 février 1624.)

« Il est impossible de mieux définir littérairement, que ne l’a fait là Richelieu, le genre particulier de mérite de Balzac ; il eut en ce point et à ce moment, la qualité et la nouveauté qui était alors la plus réclamée des gens de goût et du dernier goût, de ceux qui tenaient à bien écrire, à bien dire. Et ici je ferai avec lui comme j’ai fait précédemment pour Malherbe, je ne craindrai pas de marquer les réserves vraies et les restrictions avec et avant les louanges. Il n’était bon, je le crois, qu’à faire des phrases, et encore la même phrase appliquée à tout et recommencée à l’infini. Mais la première fois qu’il la fit, elle était neuve, cette phrase Balzacienne, elle parut infiniment agréable, et elle resta toujours utile comme forme et façon. C’est son honneur : il a inventé et perfectionné un moule ; il a donné l’exemple, le dessin, la forme, le modèle, la ligne de la phrase française régulière, noble, élégante, nombreuse et correcte : il n’y manquait plus que l’idée, la passion, la véritable éloquence à y mettre et à y verser. D’autres après lui s’en