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PORT-ROYAL.

chargeront, mais quels autres ? quels disciples supérieurs à leur vieux professeur ! Ce sera Buffon, Jean-Jacques, George Sand, tous grands prosateurs qui écrivent volontiers dans cette forme de phrase nombreuse, correcte, régulière et pleine, non pas la seule en français, mais la plus belle, la plus sûre à adopter si l’on avait le choix, la préférable. Car la phrase de Voltaire est un peu écourtée et par moments un peu sautillante ; celle de Saint-Simon, quand elle ne réussit pas d’emblée, devient confuse, s’embarrasse et court risque de tourner au galimatias. Balzac a donc été le professeur de rhétorique de plus grands que lui. Il y a tel rhéteur grec, Antiphon, qui a peut-être trouvé la forme de phrase dont usa et s’empara le génie substantiel de Thucydide.

«Qu’était-ce au juste que Balzac, dans sa personne et dans sa vie ? M. Bazin a écrit sur lui un morceau biographique très-distingué, mais un peu recherché de tour et un peu flatté de couleur. Balzac, fils d’un père qui vécut près de cent ans, né à Angoulême, non pas en 1594 ou 1595, comme on le croyait, mais en 1597[1], élève

  1. On ne connaît que depuis quelques années la date exacte de la naissance de Balzac. Bayle avait inféré de quelques passages de ses Lettres qu’il était né en 1595 ; mais cette induction supposait que le grand épistolier disait vrai sur son âge et en parlait toujours avec précision. Il y avait, d’ailleurs, des passages qui concordaient peu. Une note de l’abbe d’Olivet, dans son Histoire de l’Académie française, semblait depuis avoir tranché la question : il donnait pour date de naissance 1594, et, pour rectifier Bayle, il s’appuyait d’une autorité : « J’ai trouvé 1594, disait-il, dans un Mémoire de la propre main de Chapelain. » J’avais donc pris cette date de 1594 comme point de départ fixe, et cela m’avait conduit à inférer à mon tour que Balzac se rajeunissait parfois de quelques années, même en écrivant à M. de Saint-Cyran. Mais, s’il eut d’autres faibles, Balzac n’eut point celui-là ; réparation lu : est due sur cet article. La note qui se lit au bas de la page 48 du présent volume n’est donc pas justifiée, et, en la laissant, j’ai trahi un défaut qu’on m’a fort reproché et auquel je reconnais avoir cédé plus d’une fois, un peu de recherche et de subtilité par désir de pénétrer trop avant. C’est à M. Eusèbe Castaigne, bibliothécaire de la ville d’Angoulême, qu’on doit les derniers résultats positifs sur Balzac ; il les a donnés dans une brochure de 1846, qui a pour titre « Recherches sur la maison où naquit Jean-Louis Guez de Balzac, sur la date de sa naissance, sur celle de sa mort, etc.» On y voit que le père de Balzac s’appelait et signait Guillaume Guez tout court ; qu’un de ses fils, le cadet et non l’ainé de Balzac (mais celui-ci lui avait cédé ses droits d’aînesse), signait François de Guez, croyant se rendre plus noble ; que Balzac (né probablement la veille ou l’avant-veille) fut baptisé le 1" juin 1597, en l’église paroissiale de Saint-Paul d’Angoulême, sous le nom de Jean et non de Jean-Louis, qu’il prit cependant et revendiqua toujours à cause de son parrain qui le portait, Jean-Louis de La Valette, duc d’Épernon ; que son père mourut à 97 ans et non à cent ans, comme on se plaisait à le dire communément pour arrondir le chiffre. Lui-même, il mourut le 8 février 1654 et non le 18, comme on le croyait d’après Bayle. Voilà bien des errata sur des points de faits. L’histoire littéraire y est sujette plus que toute autre. L’infini détail auquel elle se complaît et sur lequel elle repose en partie, y prête. Il faudrait, à tout moment, être là pour reprendre en sous œuvre ce qui manque et ce qui porte désormais à faux. Tâchons du moins que la meilleure part et ce que j’appelle le gros pilier de nos jugements subsiste et demeure.