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APPENDICE.

de Garasse et des Jésuites, alla faire vers l’âge de 19 ou 20 ans un voyage de Hollande avec Théophile (on ne sait pas bien lequel des deux fut pour l’autre une plus mauvaise compagnie). Il y fit imprimer un petit discours, en l’honneur de l’insurrection et de la Réforme, qu’il oublia depuis : ses ennemis ne l’oublièrent pas : ils le déterrèrent et le lui opposèrent plus tard. À son retour il accompagna en plusieurs voyages le duc d’Épernon, auquel son père était attaché, et lui prêta sa plume pour des lettres au roi en plusieurs circonstances : Balzac a depuis revendiqué et fait imprimer parmi les siennes ces lettres signées du duc d’Épernon ; il n’aimait pas à perdre son bien et ses phrases. Il fut ensuite, à Rome, l’agent de l’archevêque de Toulouse, depuis cardinal de La Valette, son patron. Ce séjour à Rome et ce qu’il y fit est complaisamment décrit dans ses lettres. De retour en France, il eut l’occasion de connaître particulièrement Richelieu à Angoulême, pendant la station d’attente qu’y fit ce prélat (avant sa grande élévation) auprès de la reine-mère. Balzac, en ce temps-là, âgé de 25 ans, continuait d’écrire à ses patrons et à ses amis, à tout propos et en chaque circonstance notable, des lettres pleines d’art, d’un tour neuf, ornées de pensées arrangées et frappantes, et il commençait à se faire dans le beau monde une réputation que la mise au jour de son premier Recueil, en 1624, promulgua et consacra auprès du public. Il eut aussitôt la gloire et se disposa à y habiter toute sa vie comme un ermite voluptueux ou comme le rat de la fable dans son fromage de Hollande. Riche de dix mille livres de rentes et plus, possesseur d’une belle maison au bord de la Charente, lié avec ce qu’il y avait de plus élevé dans la province et avec nombre de grands personnages à la Cour, il se dit qu’il n’avait plus qu’à rester ce qu’il était et à se maintenir là où il avait atteint du premier jour. Après quelques velléités passagères d’ambition, voyant qu’il n’aurait rien de solide, ni abbaye de dix mille livres, ni évéché, il eut le bon esprit d’être content de son sort, mais aussi il eut le mauvais esprit d’être trop content de lui. Il s’installa dans son bien être et dans sa renommée comme ont pu faire depuis un Goethe et un Voltaire, mais avec de bien autres ménagements qu’eux. Ayant commencé par se dire vieux, cassé et malade, n’ayant quasi fait qu’un pas de l’enfance à la vieillesse, il se posa dès l’âge de 30 ans en souverain arbitre et en Empereur de l’éloquence, comme s’il était reconnu pour tel de tout l’univers, s’accordant tout, ne se gênant plus guère pour personne, vivant dans sa terre en robe de chambre[1], avec double et triple calotte de peur de s’enrhumer,

  1. « Balzac étoit presque toujours malade. Il avoit la taille assez belle, les cheveux noirs, le visage plein, les yeux vifs et une grosse barbe en pointe avec deux moustaches bien relevées, comme on les portoit de son temps. » (Richelet, Particularités de la vie des Auteurs, en tête des plus belles Lettres françoises, tome I.) Tel il se fit peindre dans ses portraits,