Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
PORT-ROYAL

formé au goût difficile en dehors et sous Boileau, rapporta ce talent dans Port-Royal et l’y eut seul comme pour tout le monde. Mais l’exemple le plus merveilleux, c’est Pascal, qui l’a d’emblée, cet art, sans paraître le chercher et s’en préoccuper, qui, par la méthode purement intérieure et chrétienne, sans viser à aucun effet, arrive à l’austère beauté de précision, à la beauté nue et grande, exempte de tout ornement vain et la plus conforme à l’idée même ; tellement qu’on peut dire de lui, dans une image géométrique, qu’il est juste au point d’intersection de la méthode purement chrétienne et de la méthode littéraire.

Or, ce qu’on dira maintenant de Balzac et de sa manière tout extérieure, toute rhétoricienne, de sa phraséologie partout ostensible et affichée ; ce qu’on sait déjà de la manière tout intérieure, substantielle, à la fois ramassée et diffuse, de M. de Saint-Cyran, dont les quarante in-folio manuscrits, si l’on s’en souvient, apportés en masse, épouvantèrent M. le Chancelier[1] ; — tout ce qu’on tirera de ce parfait contraste rejaillira directement sur l’intelligence qu’on aura de Pascal, sur l’admiration raisonnée que nous causera ce style où la forme et le fond, indissolublement unis et non plus distincts, ne font qu’un seul vrai, un seul beau. Dussions-nous paraître obéir insensiblement à l’allure de Port-Royal et être nous-même un peu long, on nous excusera : rien ne vit que par les détails ; celui qui a l’ambition de peindre doit les chercher.

  1. Il s’écria qu’il ne savait pas comment un homme pouvait tant écrire. C’est que cet homme n’écrivait pas.