Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/540

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
530
PORT-ROYAL.

nieux, bien précieux, quelques-uns bien ridicules et tous bien inutiles ; ils ne l’étaient pas alors. Car, ne l’oublions pas, en France on parlait bien et vif ; il y a eu des gens qui ont bien parlé de tout temps ; mais on écrivait communément très-mal. La plupart des personnes d’esprit elles-mêmes, comment écrivaient-elles ? Je prends au hasard dans la Correspondance de la mère Agnès une lettre d’elle à son neveu Antoine Arnauld en 1634 ; ceci nous regarde à tous les titres. La mère Agnès lui écrivait de Notre-Dame-de-Tard où elle était alors, le 8 février de cette année, pour l’encourager et le complimenter dans ses études :

« Je supplie le Fils de Dieu de vous donner part à ses grâces. Je penserois manquer à celle qu’il m’a faite de vous être ce que je vous suis, si je ne vous témoignois l’estime que je fais de ce bonheur, et le désir que j’ai de me le conserver, par les assurances que je vous supplie de prendre de mon affection sur laquelle vous avez toute sorte de droits, comme je prétends aussi d’avoir part à la vôtre qui m’est extrêmement chère pour honneur que je veux rendre aux avantages que Jésus-Christ a mis en vous, qui nous font espérer que vous serez quelque jour une lumière en son Église, qui emploierez pour la gloire de Dieu toutes les bonnes parties qu’il vous a données ; et je crois que c’est pour cela qu’il donne tant de bénédiction à vos études, qu’on admire l’avancement que vous y faites. »

Voilà pourtant comment on écrivait dans l’éloquente famille, quand on n’y était pas de l’École de Balzac. — Et trente ans plus tard, dans le plus grand monde, une personne qui sera de notre intime connaissance aussi, madame de Longueville, écrivait à cette autre personne d’un rare esprit, madame de Sablé, au sujet de la mort de M. Singlin (1664) :

« J’étois incertaine si vous saviez la perte que nous avons toutes faite, ainsi je ne vous écrivois point. En vérité j’en suis tout à fait touchée, car outre l’obligation que j’avois à ce saint homme de sa charité pour moi, me revoilà tombée dans l’embarras où j’étois devant que de le prendre, c’est-à-dire, d’avoir besoin de quelqu’un et de ne savoir qui prendre. Je vous prie de bien prier Dieu pour moi. Je ne doute pas que vous ne soyez bien touchée aussi, et qu’outre le touchement d’amitié et de besoin, vous ne la soyez aussi par voir la mort dans un de vos amis, qui est quasi la voir en soi même. Il faut essayer de se fortifier par le recours à Dieu et par la prière. Vos pauvres voisines [les religieuses de Port Royal) me font grande pitié. Voici un terrible coup et surtout dans la conjoncture des Bulles où le conseil de ce pauvre homme leur eut été bien utile, mais enfin Dieu est le maître. Je vous irai voir un des jours de la semaine qui vient et vous mènerai l’abbé de Roquette…»

Ainsi écrivaient dans l’habitude de tous les jours, et quand elles n’y prenaient pas garde, ces princesses tant célébrées pour leur politesse ; et dans quelle orthographe encore ! On voit que Balzac et ses successeurs, tous tant qu’ils sont, instituteurs et professeurs en bon style, étaient bien nécessaires. Madame de Longueville qui ad-