Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/539

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
529
APPENDICE.

s’agissait de ne pas retomber dans le galimatias de la vieille Cour, et lui-même a pris soin de nous le définir :

« Quelques-uns, dit-il, l’ont nommé le Phébus et le haut style de la vieille Cour. J’ai vu un excellent Recueil de ce galimatias parmi les papiers de feu M. le duc de…, où, entre autres locutions choisies, il y avoit servir quelqu’un, honorer quelqu’un de toutes les passions de son âme, et par conséquent de sa tristesse comme de sa joie, de sa crainte comme de son espérance, et ainsi des autres. C’étoient les fleurs de rhétorique de cet heureux siècle, et ce qu’on appeloit belles choses à la Cour du roi Henri troisième et chez la reine Marguerite sa sœur. Les Pibrac pourtant, les Des Portes et les Du Perron ont été de ce siècle-là et ne se sont point opposés à ce galimatias… M. l’amiral de Joyeuse donna dix mille écus à un homme que j’ai connu pour lui avoir dédié un discours de ce style-là, où il n’avoit pas oublié le zénith de la vertu, le solstice de l’honneur et l’apogée de la gloire, non plus que le roi des merveilles et la merveille des rois, outre toutes les passions et toutes les puissances de son âme. »

Balzac se rendait donc très-bien compte de sa méthode et du genre de mérite qu’il avait à sa date. Dans une lettre à Bois-Robert (la 17e et dernière du livre I) il répond ingénieusement à quelques-unes des critiques qu’on faisait de sa manière. Il y affecte une indifférence qu’il n’a pas, mais il touche très-juste et raille assez agréablement quand il retourne la guerre contre ces adversaires surannés dont la phrase ne marchait que chargée et accablée, pour ainsi dire, de locutions impropres, amphigouriques et confuses. « Si pour entendre une langue, il en falloit apprendre deux, c’est alors, dit-il, que vous auriez sujet de me blâmer. » Il a raison dans cette louange qu’il s’accorde ; car avec Balzac, pour le bien goûter, il faut sans doute savoir le latin et ses auteurs latins et aussi les poètes italiens qu’il cite et auxquels il fait des allusions continuelles ; mais du moins il ne mêle plus d’italien ni de latin à son français : le sien est pur et net, comme l’eau d’un beau canal. — J’analyse en tout ceci mes leçons de l’École, et je n’eus, pour ma conclusion, à donner sur lui d’autre jugement que celui dont on a déjà vu l’expression résumée et précise dans mon chapitre de Port-Royal[1]. Mais j’ajoutai, avant de quitter ce sujet, quelques mots encore qui ne seront pas sans à-propos ici :

« Balzac, disais-je, n’a pas fait école seulement par la forme directe de sa période, de son style, par la netteté et la magnificence dont il a ouvert le grand chemin dans le langage ; il a fait école par son genre particulier de Lettres. On a eu depuis des Lettres de d’Andilly, de Maynard, de Gombaud, de Conrart, de Godeau, de Plassac, de Méré et de bien d’autres. C’étaient autant d’auxiliaires et de collaborateurs à la suite de Balzac, autant d’instituteurs du goût public. Ils paraissent aujourd’hui bien roides, bien cérémo-

  1. Voir précédemment pages 76 et suivantes.