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PORT-ROYAL.

de Retz, qu’il considérait comme son archevêque légitime, lorsqu’il le vit détenu après la Fronde, il ne put s’empêcher de le recommander aux prières de ses paroissiens et d’adresser tout haut des vœux au Ciel pour sa liberté. Lorsqu’on apprit l’évasion du prélat du château de Nantes (8 août 1654), il exhorta le dimanche suivant son peuple à en rendre grâces à Dieu. Ce prône fit esclandre. Il se chargea d’une lettre écrite par le cardinal aux curés de Paris, et il la leur remit dans une assemblée, convoquée à cet effet. En tout ceci, M. Du Hamel s’était trompé de date, et il avait donné sur l’écueil où l’attendaient ses ennemis. Une lettre de cachet émanée de la Cour l’en punit à l’instant et l’exila.
Ici une autre vie commence (1654). Il eut successivement à passer par quatre lieux d’exil : à Langres d’abord, puis à Quimper, puis à Bellesme, et en dernier lieu à Châlon-sur-Saône. Son afaiblissement commença à Quimper et se continua à Bellesme. Il s’ennuya. Il se laissa tenter à l’idée de revenir dans sa cure et d’y reprendre ses œuvres de charité. Les correspondances qu’il entretenait avec des dames de sa paroisse contribuèrent à l’amollir : il prêta l’oreille à ces voix d’Ève. Il avait près de lui un compagnon, un docteur plus savant que lui, le petit Dirois, dont le raisonnement lui imposait. Tout cela aidant, il céda et capitula, donnant un blanc-seing pour tout ce qu’on voulut[1]. En vain, M. Arnauld qui lui conserva toujours de l’affection et de la tendresse, même après sa chute, lui écrivait-il, quand il en était temps encore : « Ne perdez pas le fruit de tant de travaux ; ne causez pas aux meilleurs de vos amis, une affliction sensible ; n’ajoutez point ce surcroît de douleur à toutes les autres persécutions. » M. Arnauld, dans une lettre à l’un de leurs amis communs, disait encore à son sujet : « Enfin il n’est que trop vrai que notre ami a signé le Formulaire. Il dit qu’il a préféré l’obéissance à ses supérieurs aux lumières des particuliers, à sa réputation, à son inclination et à la perte de ses amis. Voilà comme on spiritualise les plus grandes foiblesses. S’il avoit voulu vivre caché, il ne se seroit point vu réduit à cette extrémité. C’étoit ma pensée, lorsqu’on lui fit le dernier commandement, qu’il se mît à couvert, sans se montrer. Mais il y a beaucoup de gens quibus nihil laboriosius est quam non laborare. On aime à paroître et à se faire valoir, et on se répand si fort au dehors, qu’on se 1.

  1. On aurait tous les détails, les confidences mêmes de l’affaiblissement graduel et de la chute de M. Du Hamel dans l’Histoire du Jansénisme de M. Hermant, pages 1403-1413, 1503-1516 et aux environs. On y verrait une lettre de M. Du Hamel à M. Singlin par laquelle il s’achemine visiblement vers le précipice, et une autre lettre à M. Taignier dans laquelle, après avoir sauté le pas, il s’efforce de se justifier. Mais ces particularités, curieuses pour moi seul, ne seraient pour mes lecteurs que d’un intérêt secondaire. Il faut, se borner à en résumer l’esprit.