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APPENDICE.

dans Paris, il loua l’hôtel de Caumartin dans le cloître de Saint-Merry pour les loger. Deux fois par jour il leur faisoit une instruction, et il les nourrissoit et les entretenoit de toutes choses. Il donnoit si libéralement, et sa charité étoit si connue de tout le monde qu’une infinité de pauvres des autres paroisses venoient demeurer sur la sienne pour être secourus. Cependant, chose surprenante ! lorsque la guerre fut finie, la trésorière des pauvres trouva encore vingt-six mille livres entre ses mains qui furent envoyées en Picardie, tant l’aumône avoit été donnée avec profusion[1]. » Il avait une certaine majesté naturelle, un beau port, un air agréable et grave tout ensemble, le don de toucher et d’émouvoir, le don, comme on disait, «d’ouvrir les cœurs et les bourses. » Son éloquence facile et imposante, où il entrait du pathétique et du dramatique, persuadait tout ce qu’il voulait ; on ne pouvait rien lui refuser. « On en vit un exemple admirable dans un accident qui arriva à l’Hôtel-Dieu. Il plut avec tant d’abondance que les eaux firent tomber une des salles de cet hôpital, et les curés de Paris furent priés de vouloir exciter les fidèles de contribuer à la rebâtir. M. Du Hamel y exhorta ses paroissiens avec tant de force qu’on trouva le lendemain dans le tronc de l’Hôtel-Dieu jusqu’à la somme de dix mille livres. Il en dépensoit tous les ans près de quarante, tant par lui que par les dames de la Charité. Tout le monde lui donnoit, il prenoit à tout le monde, ne parlant que de ses pauvres. » — Il faisait un prône tous les quinze jours, et il déployait un talent merveilleux dans cette manière d’instruire. Les instructions de son humble et fervent collaborateur M. Feydeau, s’y ajoutaient après Vêpres ; on y venait en foule, et c’était l’opinion alors dans le monde des paroisses qu’il n’y avait rien de si beau à entendre que « le Prône de M. du Hamel et le Catéchisme de M. Feydeau. » Quand M. du Hamel prêchait le Carême, il allait le plus souvent qu’il pouvait, s’inspirer à Port-Royal, d’où il revenait plein des vérités les plus importantes qu’il débitait ensuite avec chaleur et abondance. Bien que très-appuyé durant ces années, soutenu par un parti puissant et porté par la faveur publique, il avait souvent fort à faire et il était loin de s’accorder toujours avec le curé son collègue, surtout quand ce collègue fut M. Amiot. Ils ne tardèrent pas, ce dernier et lui, à être ce qu’on appelle à couteaux tirés. Je passe sur quantité d’actions et de particularités qui sont racontées dans sa Vie, et dont quelques-unes trahissent un état de guerre sourde ou flagrante. Il résulte de ces témoignages que M. du Hamel était un homme de cœur, d’effusion, d’entraînement plus encore que de poids et de prudence. On lui tendit bien des pièges : il ne sut pas tous les éviter. Partisan dévoué du cardinal

  1. Histoire de M. du Hamel par M. Treuvé.