Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/559

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
549
APPENDICE.

montré (y eût-il quelque chose de vrai dans l’achat) que les fonds étaient mal acquis et détournés ? La vie entière de M. Du Hamel proteste contre cette accusation de cupidité. Si de tels Mémoires que les vôtres avaient paru dans le dix-huitième siècle, mon Révérend Père, des milliers de voix se seraient élevées pour crier à la calomnie ; les pierres des tombeaux de Port-Royal se seraient soulevées à votre insulte : les voûtes du Parlement de Paris auraient retenti de paroles sévères. Aujourd’hui tout est mort, tout est muet. Les Jansénistes n’ont plus d’avocats, ils n’ont plus de défenseurs : le monde entier est aux indifférents, et du seul côté où l’on ne le soit pas, la partie est comme perdue ; la place est toute à ceux que je reconnais à un signe pour être de la race éternelle des ennemis qui diffament et qui calomnient. Je n’ai rien qui me prévienne en faveur de M. Du Hamel : je l’avais presque entièrement omis d’abord : il est en dehors da mon sujet ; de plus, en ce qui est de sa personne, il me revient peu ; j’entre tout à fait à son égard dans les réserves d’Arnauld, de Lancelot, et M. de de Saint-Cyran : il s’agite trop, il se remue trop : c’est un curé quelque peu compromettant ; mais, à la fin, l’indignation m’a saisi à le voir ainsi poursuivi jusque dans sa probité ; le sentiment de l’injustice enfiellée dont sa mémoire est atteinte m’a porté à le défendre, à le montrer du moins tel qu’il était. Je ne demanderais à une personne équitable qu’une épreuve : d’une part, lire tout ce qu’a écrit le Père Rapin sur M. Du Hamel, et en regard lire ce qu’ont écrit nos amis non suspects sur son compte, sa Vie, son Histoire par M. Treuvé, si honnêtement faite, si édifiante et convaincante (et encore sommes-nous avertis que l’imprimé de cette Histoire n’est pas entièrement conforme au manuscrit), les lettres dans lesquelles Arnauld parle de lui avec estime et tendresse encore, malgré sa défection. « Toute mon espérance touchant notre ami, disait-il, est que Dieu aura regardé la simplicité de son cœur. Car je ne suis pas de ceux qui lui attribuent des pensées d’intérêt et des désirs de rétablissement : je n’impute sa chute qu’à son défaut de lumière dans la matière de Grâce… » M. Du Hamel eut le tort (et ce fut chez lui une second faiblesse) de se laisser pousser par des amis plus chauds qu’éclairé qui le servirent à la Cour et qui répondirent de lui : il crut à sa restauration possible, et à la solidité de son rétablissement comme curé ; c’était se nourrir d’illusions.

On raconte qu’en revenant à Paris, son premier soin avait été de visiter d’anciens amis, notamment M. Feydeau, cet ancien vicaire, ce catéchiste excellent, qui avait toujours été son second et son bras droit dans des temps meilleurs. M. Du Hamel le vint souvent chercher à la maison où il logeait, sans le rencontrer. Un soir enfin, ennuyé de ne le point voir venir et soupçonnant qu’il y avait de l’intention, il l’attendit jusqu’à dix heures, et dit qu’il ne s’en irait pas sans l’avoir vu. M. Feydeau rentra enfin, et aussitôt