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PORT-ROYAL.

qu’il aperçut M. Du Hamel, il lui cria en l’apostrophant avec ces paroles d’Isaïe : « Quomodo cecidisti de cœlo, Lucifer, qui mane oriebaris ? corruisti in terram, qui vulnerabas gentes ? (Comment êtes-vous tombé du ciel, ô Lucifer, vous qui paraissiez si brillant au point du jour ? comment avez-vous été renversé par terre, vous qui saviez si bien blesser les nations ?) » C’étaient là des flèches qui devaient percer au cœur M. Du Hamel[1].

Depuis ce temps, il ne fit plus que changer de situations et promener en divers lieux son trop plein d’affectuosité, son surcroît de zèle, son humilité, sa pénitence, ses mortifications, ses infirmités croissantes, mais qui ne diminuaient rien à ses austérités. Il permuta sa cure de Saint-Merry pour un canonicat de Notre-Dame[2];

  1. Les Journaux manuscrits de M. Des Lions offrent plusieurs passages qui concernent M. Du Hamel, et ce qui est dit de lui nous rend bien l’écho des bruits du temps ; et, par exemple, après son retour dans sa cure : « Le 27 août (1665) M. de Saint Romain m’a fort parlé de M. Du Hamel qui non sibi constat ; qui, dans le temps qu’il faisoit plus d’éclat à Paris, ne laissoit pas de chanceler, et que ses amis, principalement M. Feydeau, travailloient tous les jours à l’affermir ; qu’à présent il est comme en défiance et chagrin de toutes choses et de toutes personnes ; que son collègue le traite avec beaucoup d’incivilité ; qu’il (M. Du Hamel) a pensé faire imprimer un écrit où il donneroit les raisons qui l’ont fait changer… » Quand un curé en est à l’apologie, son autorité morale est ruinée.
  2. Pendant qu’il était chanoine de Notre-Dame, M. Du Hamel alla faire visite à son ancien ami et vicaire, M. Feydeau, alors curé à Vitry. Il est curieux de voir comment M. Feydeau, dans ses Mémoires, parle de cette visite et avec quels sentiments d’estime et d’affection, malgré tout persévérante, qu’il gardait à M. Du Hamel. « M. Dorat qui nous étoit venu voir me consoloit, dit-il, et me donnoit des conseils de douceur et de patience. Il s’en alla un peu avant que M. Du Hamel arrivât, qui fut le 17 septembre (1671 ?). Il vint avec M. Du Bosc pour assister à la profession de sa fille. Elle la fit le jour de Saint-Matthieu. J’y prêchai et montrai comme elle devoit mourir à soi-même dans le premier point : — pour ne vivre que pour Dieu : c’étoit le second et dernier point. — J’offris l’autel et la chaire à M. Du Hamel, comme les anciens évêques faisoient à leurs confrères. Mais il ne voulut jamais ni dire la grand’messe ni prêcher. Il étoit pour lors chanoine de Notre-Dame de Paris, et il ne voulut rien faire de pastoral. Il fit seulement comme par rencontre un discours aux dames de la Charité dans l’hôpital. Je n’en sus rien qu’après qu’il fut fait, et on me dit que toutes les dames en avoient été très-touchées et très-edifiées. Je fis le prône devant lui sur le sacrifice et comme il y falloit assister. Je le priai de me donner des avis pour la conduite de la paroisse, et il ne me dit autre chose sinon qu’il ne feroit que ce que je faisois, et aussi ne faisois-je guère que ce que je lui avois vu faire à lui-même étant pasteur. Je lui demandai s’il me conseilloit de continuer toujours ou de quitter cet emploi. Il me conseilla de continuer. J’eusse voulu le remettre en d’aussi bonnes mains que les siennes, et je l’en eusse pressé sans une certaine affaire qu’il avoit faite avant que de revenir de son exil à Paris… Je fus fort consolé de cette visite et animé de nouveau à travailler dans la paroisse. » — Je le demande à toute personne de bonne foi, M. Feydeau, témoin très-proche de la conduite de M. Du Hamel pendant les huit années qu’ils avaient été ensemble à Saint-Merry, aurait-il parlé de lui en ces termes de respect, s’il y avait eu quelque chose de vrai dans les abominables dires du Père Rapin ? On aura remarqué un point bien délicatement touché, c’est celui de la signature de M. Du Hamel, cette «certaine affaire» qu’il avoit faite avant de re-