Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/567

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
557
APPENDICE.

taires pourroit paroître trop sévère et en quelque manière intéressé, on se défendit aisément sur ce dernier point. Il proposa ensuite de charger la conscience de la veuve de l’exécution de la volonté de son mari, après lui avoir déclaré qu’elle ne pouvoit selon Dieu retrancher aucune chose de ce qu’il avoit donné aux pauvres, mais que puisqu’elle témoignoit qu’elle ne pouvoit souffrir le retranchement d’un si grand bien sans réduire ses enfants à une extrême nécessité, on se contenteroit que pour le présent elle commençât cette exécution, remettant entre les mains des dépositaires une somme notable d’argent comptant et promettant d’apporter à la décharge de leur conscience une consultation de Sorbonne contraire à celle que l’on lui fit voir signée de MM. Charton, Du Val et de Sainte-Beuve, laquelle autoriseroit l’expédient qu’il proposoit, les conjurant de terminer l’affaire par cette voie. Enfin, les ayant ébranlés sur cette dernière proposition, il pressa de fixer la somme qu’ils prétendoient. L’un de ceux qui se trouvoient à cette conférence demanda cent mille écus. Il offrit d’abord cent mille francs ; puis il vint à cinquante mille écus. M. de Bagnols le pressa de pousser madame de Chavigny jusqu’à deux cent mille livres. M. Singlin, étant interpellé de parler, dit qu’il ne prétendoit pas disputer le plus ou le moins ; qu’il s’étoit ouvert de cette affaire à M. le curé de Saint-Paul qui avoit été pasteur du défunt et l’étoit encore de la veuve, et qu’il se déchargeoit de sa conscience sur la sienne. Ce procédé plut extrêmement à M. le curé de Saint-Paul et l’édifia tout à fait ; mais, avant que de s’engager plus avant, il fut convenu que lui, de sa part, il verroit cette dame pour la porter à se rendre facile à l’exécution de la volonté de son mari et que les dépositaires iroient à Port-Royal des Champs consulter quelques-uns de leurs amis sur l’importance de cette affaire.
« M. Mazure s’en retournant chez lui ce jour-là dit à M. de Bagnols qu’il ne parleroit point à madame de Chavigny avec toute la vigueur qui avoit été arrêtée, mais qu’il lui diroit seulement, après avoir composé avec elle de l’argent qu’elle donneroit, que pour le surplus elle pourroit prendre avis de qui elle voudroit, la priant de le dispenser de lui en dire son sentiment.
« Cependant cette affaire qui jusques alors étoit connue de peu de personnes se répandit au-dehors ; et le 16, M. de Bagnols apprit de M. de Saint-Paul qui l’avoit mandé chez lui que M. le Président de Maisons avoit persuadé madame de Chavigny qu’on n’oseroit soutenir l’affaire en justice ; qu’il disoit qu’il n’en falloit pas davantage pour achever de ruiner la secte du Jansénisme ; que M. le Président de Nesmond seroit ravi de se faire honneur de cette affaire dans la congrégation ; qu’en un mot il répondoit de l’événement, et que, quand la chose seroit douteuse, il avoit un expédient infaillible pour l’assurer, qui étoit d’obliger tous les débiteurs de passer des titres nouveaux en faveur de cette dame et des héritiers, ce qu’il obtiendroit d’eux très-facilement et offroit pour son particulier de le faire pour sa dette ; que si néanmoins la veuve vouloit en user comme on a de coutume lorsque des papiers sont égarés, elle pourroit donner quelque paraguante[1] et que ce seroit assez son avis ; qu’au surplus, si on prenoit l’affaire sur le point de la conscience, il n’avoit rien à dire et que c’étoit à M. le curé à en parler.
« M. le curé de Saint-Paul dit sur cet article qu’il avoit fortement pressé madame de Chavigny, et l’avoit réduite à donner jusqu’à cent mille

  1. Quelque présent, des épingles comme on dit.