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APPENDICE.

exigé de plus qu’il ôtât son nom de la première page : proposition très-amère au pauvre Père Bouhours, qui s’est jeté inutilement aux pieds du prélat pour le supplier, avec larmes, de lui épargner l’affront qu’il recevroit de cette suppression. Mais la raison que M. l’archevêque en a donnée aux principaux confrères et aux puissants amis du Père Bouhours, c’est que son nom, leur a-t-il dit, n’est pas assez grave pour être mis à la tête d’un livre si divin. Il a été ferme comme un rocher dans son refus : il a cru de son devoir d’être inexorable et a poussé son exactitude jusqu’à faire ôter le nom du traducteur de l’Extrait du Privilège imprimé à la tête du livre, où, en tout, on assure qu’on a fait plus de cent cartons ; c’est dire qu’il a fallu réimprimer les feuillets sur lesquels les fautes corrigées se trouvoient »

M. Vuillart revient sur le fait et en confirme l’exactitude dans une lettre du 6 novembre, en réponse à une objection qu’avait soulevée son correspondant :

« Oui, monsieur, la suppression du nom de Père Bouhours à la tête et jusque dans l’Extrait du Privilège de sa version du Nouveau-Testament est ce fait sur lequel M. l’archevêque a marqué une extrême vigueur et est demeuré inflexible, par la raison qu’un nom aussi peu grave que celui du Père Bouhours qui jusques à présent n’a guère écrit que sur des matières profanes, et qui est l’auteur de l’Épitaphe de Molière et d’une infinité de bagatelles, ne doit point paroître à la tête d’un livre si divin. Votre raison est très-solide, « que le nom d’un auteur le rend garant de son ouvrage. » Mais le nom du Père Bouhours garantira sa version, s’il le faut ; car il est dans l’original du Privilège, et ne sera supprimé que dans l’Extrait qu’on imprime, et à la première page du livre.

» Je ne puis dissimuler que nos amis poursuivent le Père Bouhours à outrance et comme l’épée dans les reins. Ils ne lui font pas quartier. M. Vuillart revient à la charge sur son compte, dans une lettre du 17 juin 1699 ; ayant raconté un trait de modération et de modestie du Père de Gonelieu, jésuite, il ajoute :

« On auroit de la peine à croire le Père Bouhours aussi vertueux dans l’entretien qu’il eut fortuitement ces jours passés avec M. Pirot (le docteur examinateur), qui depuis plus d’un an lui garde la seconde partie de sa version du Nouveau-Testament dont on n’a imprimé encore que les quatre Évangélistes. Ce docteur étoit dans le cabinet de M. Anisson[1], et avec lui un curé de la ville. Le Père Bouhours arrive. On en avertit M. Anisson qui va le recevoir et le convie d’entrer. Le jésuite apercevant le docteur est frappé de sa présence et lui dit un peu ému : « Hé bien ! Monsieur, quand finirez-vous donc ? » — « Quand je pourrai, mon Révérend Père, car j’ai bien d’autres choses à faire, qui retardent la votre, malgré qu’on en ait, répond le docteur. » — « Mais c’est me faire bien languir, reprend le Père. » — « Il faut vous préparer à une plus longue patience, continue M. Pirot ; car, après mon examen, M. l’archevêque veut faire le sien, plus pausément que celui des Évangélistes qu’il a eu du regret d’avoir lâchés si facilement. Mais

  1. M. Anisson était à la tête de l’Imprimerie Royale.