Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/587

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
577
APPENDICE.

c’est-à-dire cet aperçu fugitif, jeté en courant, et qui ne saurait compromettre l’idée d’ensemble et tout à fait approfondie que je crois avoir donnée, et de l’homme et du chrétien dans Pascal. Il faut voir (Journal des Débats du 15 septembre (1857) quel subtil appareil M. Rigault construit pour mieux me combattre :

« La critique de nos jours, qui a la curiosité, dit-il, et la finesse d’un procureur, en a aussi le penchant à supposer le mal : le soupçon couve sous sa robe noire, et l’accusation éclôt. Dans les bibliothèques, qu’elle a changées en greffes, la Critique remue avec délices les vieux papiers et quand elle subodore quelque faiblesse ignorée, quelque vice inédit d’un grand homme ou d’une grande femme, c’est une volupté pareille à celle du juge qui a mis la main sur le beau crime qu’il rêvait. Dans Pascal, l’ancienne Critique ne s’attachait guère qu’au grand écrivain et à l’ascète : la critique moderne, qui dans les écrivains cherche surtout les hommes, et dans chaque homme les coins inexplorés, a découvert un côté de Pascal encore plongé dans un demi-jour plein d’attrait, le côté de l’homme du monde, de l’ancien ami du chevalier de Méré, du dissipé fastueux, qui fait rouler sur le pavé de Paris son carrosse à quatre chevaux. Jusque-là rien de mieux : c’est le droit, c’est le devoir de la Critique de regarder les grands hommes du plus près possible, dans leur tempérament et sous leur écorce, comme l’a très-bien dit M. S.-B. Mais, une fois entré sous l’écorce de l’homme on subit malgré soi les illusions d’optique qui se jouent des voyageurs, quand à la lueur vacillante des torches, ils visitent les Catacombes, comme ils prennent les reflets mobiles de la flamme sur les voûtes pour des fantômes qui voltigent devant eux, on croit découvrir dans ces régions souterraines de l’homme les traces d’une histoire intime qui peu à peu se dégagent et révèlent un personnage inconnu ; et de la meilleure foi du monde on invente ce qu’on s’imagine observer. Qui osera se promettre de résister au prestige quand un œil si perçant et si sûr, celui de M. S.-B. a été ébloui ? Enfermé dans ce petit coin de Pascal mondain, au sein du clair-obscur, comme les personnages de Platon dans la caverne, M. S.-B. a cru voir passer devant lui l’ombre d’une vérité encore inaperçue, il a étendu les mains pour la saisir ; mais tel est pris qui croyait prendre, et c’est lui qu’une illusion a captivé. Comparant la grandeur du train de vie de pascal à la médiocrité de sa fortune, M. S.-B. a supposé que Pascal était joueur ; hypothèse imprévue et gratuite, qui a souri a son esprit parce qu’elle enrichissait d’un trait nouveau le portrait de Pascal. — Joueur et fanatique, voilà déjà un Pascal presque renouvelé par l’admiration du dix-neuvième siècle, etc.… »

Tout ceci, on en conviendra, est fort tiré et fort recherché et d’idées et d’images. Je ne conçois guère que lorsqu’on est sous une écorce fût-ce l’écorce d’un homme, on ait des illusions d’optique ; qu’on soit comme un promeneur qui visite les Catacombes à la lueur vacillante des torches, et tout ce qui suit. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas pris tant de peine pour hasarder ma conjecture ; je n’ai pas étendu les mains pour la saisir. M. Rigault, qui avait beaucoup d’esprit, sentait trop le besoin de le montrer. Lisant ses premiers articles, comme on m’en demandait mon avis, je disais :