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LIVRE DEUXIÈME.

pouvois recevoir qu’une légère impression de la vérité, je vois distinctement cette générale corruption, et reconnois quelle injure je faisois à Dieu, quand je faisois mes dieux de ses créatures, et quelle gloire je dérobois à la, etc. Le 12 janvier 1626. »

Vers le même temps, M. de Saint-Cyran écrivait à M. d’Andilly une lettre dans laquelle on lit ces mots : « … Je ne sais qui est ce monsieur de Vaugelas qui vous a écrit. Il me semble qu’il est de l’humeur de M. de Balzac, duquel je fais plus de cas que de sa lettre, que j’ai dessein de lire dans trois jours, pour ce que j’ai d’autres occupations et que je désire que, par mon exemple, vous apportiez quelque modération à cette passion que vous avez aux paroles, dont la belle tissure est moins estimable que vous ne pensez. » Et il continue dans sa première manière, non débrouillée encore, à raisonner sur la légèreté de cette tissure ; je traduis sa pensée de la sorte : Si la Parole est ce qu’il y a de plus grand, les paroles sont ce qu’il y a de moindre.

Cependant la lettre de Balzac ( je suppose que c’est celle-là même dont M. de Saint-Cyran vient de parler ), après qu’il l’eut gardée trois jours entiers sur sa cheminée sans la lire, demeurait toujours, de sa part, sans réponse. Un long mois après, Balzac qui, en retour de ses frais d’éloquence, attendait en affamé sa ration et comme sa pitance d’éloges, dépêcha un gentilhomme de ses amis près de M. de Saint-Cyran, pour savoir de lui s’il n’avait pas reçu une lettre qu’il s’était donné l’honneur de lui écrire. M. de Saint-Cyran répondit qu’oui, et s’excusant sur quelques affaires qui l’avaient retardé dans sa réponse, il pria le gentilhomme d’attendre un moment, et qu’il l’allait faire en sa présence. Il la fit, dit Lancelot, et la lettre fut trouvée incomparablement plus belle et plus pleine d’esprit que celle que M. de Balzac avait pris tant de peine à composer ; de