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PORT-ROYAL

Ce dernier pourtant ne tira jamais que peu du ministre ; ce n’était pas le désir qui lui manquait ; mais le Cardinal, tout en le complimentant publiquement par lettre, l’avait jugé phraseur, et un phraseur dont on ne faisait pas ce qu’on voulait, bien qu’il louât à outrance. Il y eut quelques lignes maladroites de Balzac sur la Reine-mère et le Cardinal, qui déplurent à celui-ci,[1] et il dit

  1. C’est dans une longue lettre adressée au Cardinal en lui envoyant le Prince, 1631 (la cinquantième du livre VII) ; au moment où Balzac se félicite de ne s’être point piqué en marchant sur des épines, il s’y fourvoie et s’y enfonce bien lourdement : « La crédulité de la meilleure Reine du monde, écrit-il, a servi d’instrument innocent à la malice de nos ennemis, et la prière qu’elle fît au Roi de vous éloigner de ses affaires ne fut pas tant un effet de son indignation contre vous que le premier coup de la conjuration qui s’étoit formée contre la France, et qu’on lui avoit déguisée sous un voile de dévotion, afin qu’elle crût mériter en vous ruinant. Le Roi lui a voulu donner là-dessus toute la satisfaction raisonnable. … Il a été plusieurs fois votre avocat et votre intercesseur envers elle ; il a voulu être votre caution et lui répondre de votre fidélité. De votre part, Monseigneur, vous n’avez rien oublié pour tâcher d’adoucir son esprit. Elle vous a vu à ses pieds lui demander grâce, quoique vous lui puissiez demander justice ; elle vous a vu faire le coupable et offenser votre propre innocence, afin de lui donner lieu de vous pardonner… Le Roi, qui lui accorda autrefois le pardon de plus de quarante mille coupables, n’a pu obtenir d’elle la grâce d’un Innocent… » C’est ainsi que Balzac traduit la Journée des Dupes ; il y trouva la sienne, et dans cette seule page il se perdit. On conçoit la colère du Cardinal contre le rhéteur lourdaud, en lisant cette longue bévue ; mais il dut faire comme M. de Saint-Cyran, et, malgré tout, éclater de rire, quand il en vint au passage que voici : « Ce désordre que vous n’avez point fait vous afflige infiniment, et je sais que vous voudriez de bon cœur que toutes choses fussent en leur place Je ne doute point que vous ne pleuriez l’infortune d’une Maîtresse que vous aviez conduite par vos services au dernier degré de félicité, et qu’ayant si longtemps et si efficacement travaillé à la parfaite union de leurs Majestés, ce ne vous soit un sensible déplaisir de voir aujourd’hui vos travaux ruinés et votre ouvrage par terre. Vous voudriez, je m’en assure, être mort à La Rochelle, puisque jusque-là vous avez vécu dans la bienveillance de la Reine. » Mais, si risible que ce fût, une telle lettre imprimée ne laissait pas de faire assez sotte