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LIVRE DEUXIÈME.

un jour à Bois-Robert : « Votre ami est un étourdi. Qui lui a dit que je suis mal avec la Reine-mère ? Je croyois qu’il eût du sens ; mais ce n’est qu’un fat. » Disgrâce pour disgrâce, il vaut mieux être jugé par Richelieu, dangereux comme Saint-Cyran, qu’étourdi et indiscret comme Balzac : cela, comme pronostic, est de meilleur augure.

Le célèbre écrivain passa donc à peu près une trentaine d’années sans interruption dans sa terre, tout en contemplation de lui-même et de son œuvre littéraire qui avait été précoce et brillante, mais qui ne mûrit plus. Ses ennemis l’appelaient Narcisse ; il se mirait tout le jour, en effet, dans le canal de sa Charente, ou dans ce Miroir de la rhétorique qui lui semblait si beau. Il ne renouvela jamais son esprit par le monde et par la pratique des hommes. Il acheva de se boursoufler dans le vide. La solitude lui gâta l’esprit, comme le monde fait à d’autres, comme il fit à Voiture. Au reste, il fallait que Balzac eût l’esprit ainsi tout prêt à se gâter ; car la même solitude aiguisa plutôt Montaigne.

Nul ne représente plus naïvement que lui l’Homme de Lettres pris comme espèce, dans sa solennité primitive, dans son état de conservation pure et de gentilhommerie provinciale, dans son respect absolu pour tout ce qui est toilette et pompe de langage, dans son inaptitude parfaite à toute le reste. M. de Saint-Cyran, en le blâmant, ne le distinguait pas des gens du monde ; mais ceux-ci, les vrais gens du monde de ce temps-là, n’avaient garde de s’y méprendre, et les spirituels, comme Bautru, le raillaient très-joliment.[1]


    mine, et assez ennuyeuse au Cardinal, devant la Reine-mère exilée et qui s’en allait mourir à Cologne.

  1. « Comment voulez-vous qu’il se porte bien ? répondait un jour Bautru au cardinal de Richelieu, il ne parle que de lui-même, et à chaque fois il se découvre ; tout cela l’enrhume. »