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PORT-ROYAL

littérature classique, tout près de Malherbe qui, dans la vie, avait bien plus d’esprit que lui.[1]

Comme écrivain, Balzac se trouve ainsi venir en comparaison avec plusieurs esprits de valeur, qu’à ce dernier titre il est à mille lieues d’approcher. Il parle assez bien de Montaigne ; il le sentait néanmoins fort peu à l’endroit principal : en lui, au rebours de Montaigne, on a toujours l’auteur et jamais l’homme.[2] En croyant le discoureur des Essais arte rudem ( c’est son mot ), bien qu’il le saluât ingenio maximum, il n’appréciait pas cet art libre, non aligné ni rangé en bataille, cet art intérieur et divers, qui est le plus vrai. Montaigne aurait ri dans sa fraise de cette éloquence de tous les jours en habit de pourpre. Et c’est pourtant cette pourpre qu’a portée Balzac, qui le sauve, le consacre à cette distance et le fait encore respecter.

Voiture, avec son mauvais goût qui était celui de son monde, avait bien plus d’esprit, à proprement parler, que Balzac, bien plus de tact et de savoir-vivre, de sentiment enfin du ridicule. Il était de ces honnêtes gens ( au sens de Pascal ), c’est-à-dire de ceux qui savaient

  1. Malherbe avait de ce qu’on appelle esprit, et du plus mordant. On retrouverait, j’ose dire, du philosophe Duclos, brusque et fin, dans Malherbe. Cela se voit par tous les mots qu’on cite de lui, et même par ses Lettres qui sont tellement l’opposé de celles de Balzac. Autrefois il m’est arrivé de juger bien sévèrement un recueil de ces Lettres de Malherbe, qui venait d’être retrouvé et publié (1822), je n’y cherchais que le style et l’imagination ; il est vrai qu’il n’y en a guère. C’est une gazette assez sèche, adressée à Peiresc, des événements de chaque jour durant les premières années de Louis XIII, mais une gazette écrite par un homme de sens et assaisonnée par-ci par-là d’observations bien narquoises. L’histoire en a fait son profit. On y reconnaît un esprit capable de tout entendre, et, pour appliquer une charmante expression de Gabriel Naudé, un homme tout à fait déniaisé et guéri du sot, et qui savait bien la vérité
  2. Expression de Pascal