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LIVRE DEUXIÈME.

mieux que les livres. Et ceux-là, plus ou moins, se raillaient presque tous de Balzac. J’ai cité Bautru ; je pourrais ajouter Patru, qui parla si vivement dans l’Académie contre cette fondation d’un prix pour le meilleur sermon.[1] Voiture, lui, en son temps, échappait au ridicule ; bien loin de le rembourser pour lui, il le distribuait finement aux autres. En matière de raillerie comme de louange, il était la délicatesse même. Il diffère de son rival à chaque pas, de toute la distance du gentil et du sémillant au solennel. Mais cette différence même et cette absence de grandeur dans Voiture l’ont fait mourir presque tout entier, tandis que Balzac est resté, et que de temps à autre, lorsqu’à travers les vicissitudes du goût on revient aux origines de la prose oratoire et qu’on remanie la rhétorique de la langue, son autorité s’y introduit. À chaque tournant de siècle, sa statue de loin reparaît.

C’est une espèce de destinée que la sienne. Le premier soin de Pascal fut de couper court à cette rhétorique prolongée et même de réagir en sens contraire, non toutefois sans en tenir compte. À qui pensait-il, je vous en prie, lorsqu’il parle de ceux qui ont enseigne d’éloquence ? Il s’en sépare en toute rencontre ; il semble jouir d’être simple, il s’écrie avec bonheur : « Quand on voit le style naturel, on est tout étonné et ravi. »

Boileau sentit de même. On sait son spirituel pastiche de Balzac : c’en est la meilleure censure.[2] Les

  1. Il donnait des raisons fort judicieuses ; la fondation n’a paru supportable qu’en devenant simplement un prix d’Éloquence. Encore y devrait-on mettre pour épigraphe permanente ce mot de Pascal : La vraie éloquence se moque de l’éloquence.
  2. Lettre au duc de Vivonne, datée des Champs-Elysées : « Monseigneur, le bruit de vos actions ressuscite les morts. Il réveille des gens endormis depuis trente années et condamnés à un sommeil éternel. Il fait parler le silence même… » Je connais d’autres pastiches de Balzac, et non moins bien réussis ; j’en possède un